La double « vie » des (...)

La double « vie » des notaires de France

« Vie professionnelle » et « vie familiale » sont-elles conciliables lorsqu’on dirige une entreprise entre conjoints ? Les notaires ont débattu de ce thème lors de leur dernier congrès, à Marseille du 15 au 18 juin. Sans toujours convaincre.

« Demândez donque à la boulângèreuh ! » ? Emmanuel Clerget, notaire à La Charité-sur-Loire (Nièvre), s’essaie pour l’occasion à l’accent chantant de Raimu. C’est audacieux, face à un public de quelque 2 000 de ses confrères réunis précisément à Marseille, pour le congrès de la profession. En imitant, assez bien, il faut dire, une scène de La femme du boulanger de Marcel Pagnol, le praticien veut montrer le rôle essentiel de ces « épouses de », femmes de médecins, épicières, conjointes et collaboratrices d’artisans, qui accompagnent leur mari tous les jours dans leur travail.
L’équipe du 110ème congrès a consacré ses travaux, du 15 au 18 juin , à la conciliation entre « vie familiale » et « vie professionnelle ». Les artisans, chefs de petites entreprises et professionnels libéraux constituent, cette année, la cible du notariat. Sur les grandes stations de radio, des spots, légèrement décalés, leur sont spécialement dédiés. Et pendant ce temps, les praticiens discutent à Marseille du sort de leurs épouses. « C’est une clientèle à laquelle nous sommes attachés, qui n’a pas le temps de s’intéresser aux questions juridiques », se défend Bertrand Ryssen, notaire à Seclin (Nord) et nommé « président » du 110ème congrès.

Une équipe de dix praticiens s’est penchée sur les difficultés rencontrées « lorsqu’un couple et une entreprise individuelle tentent de se développer tout au long d’une vie commune », pour reprendre les termes du Conseil supérieur du notariat (CSN). Une vingtaine de propositions ont été imaginées, soupesées, rédigées avant d’être soumises, pendant quatre séances d’une demi-journée, les « commissions », à la sagacité des notaires présents. Charge à ces derniers d’adopter ou de rejeter les propositions, qui seront ensuite, le cas échéant, transmises aux autorités compétentes, Chancellerie, législateur français ou Commission européenne.

Des propositions « féministes » rejetées

Les propositions avancées par la 1ère commission, chargée d’examiner la manière d’assurer l’équilibre entre les époux travaillant ensemble, n’ont pas eu le succès escompté. Deux des cinq vœux ont été rejetés par une majorité de notaires. Le premier visait à faire bénéficier l’épouse – ou l’époux – des bénéfices de l’entreprise. Lors de l’immatriculation d’un conjoint collaborateur au registre des sociétés aurait été précisée la quote-part des bénéfices devant lui être rétrocédée. L’entrepreneur individuel aurait alors « tenu le compte de résultat de l’entreprise à la disposition de son conjoint collaborateur ». L’autre résolution devait permettre à des époux de contractualiser, dès la rédaction de leur contrat de mariage, ou un peu plus tard par le biais d’un acte notarié, une formule de calcul de la prestation compensatoire qui serait accordée en cas de divorce. Cette proposition a fait l’objet de débats assez vifs. Le professeur émérite, Philippe Malaurie, 89 ans, a profité de ces débats sur le couple pour réaffirmer son opposition de toujours à la reconnaissance des ménages homosexuels, qui pourtant n’était pas évoquée par l’équipe du congrès : « le mariage est fait pour l’enfant, pas pour la procréation pour autrui ! », a-t-il crié, rouge de colère. Au sujet des résolutions visant à protéger les conjoints d’entrepreneurs, le professeur a affirmé solennellement, entendu par une majorité de notaires : « Moins il y a de lois dans une famille, mieux elle se porte. Lorsqu’il y a un Code civil sous l’oreiller, je ne lui donne pas cher de survie ».

L’équipe du congrès s’est remise sans dommages du rejet de ces vœux qualifiés de « féministes ». « Nous avons peut-être dix ans d’avance », avance, évasif, Michaël Dadoit, notaire à Joué-les-Tours (Indre-et-Loire) et « rapporteur général » du congrès. Pour Corinne Dessertenne-Brossard, notaire à Paris et « rapporteur » de la 1ère commission, la définition, à un moment où le couple n’envisage aucunement le divorce, de la prestation compensatoire, ne porte pas atteinte à la conception religieuse du mariage. « Les jeunes amoureux d’une vingtaine d’années qui viennent me voir considèreraient ce choix comme une donation entre époux. Même s’ils sont très croyants, ils veulent protéger leur conjoint », précise-t-elle.

Les autres propositions de la commission ont en revanche été adoptées sans difficultés. Elles visent respectivement à « qualifier la force de travail comme un bien commun », à clarifier le régime d’indivision des partenaires d’un PaCS et à partager les droits à la retraite entre les conjoints.

De la capacité du chef d’entreprise

Les notaires ont largement débattu, lors de la 2ème commission, d’un « droit au rebond » que l’équipe du congrès souhaite accorder aux chefs d’entreprise ayant connu un revers. Lorsqu’une entreprise fait faillite, son fondateur dispose légalement d’un « droit à l’oubli » mais qu’on le veuille ou non, l’information demeure en ligne pendant de longues années. « Plutôt que de ‘droit à l’oubli’, nous avons préféré parler de ‘droit au rebond’ », indique Olivier Gazeau, notaire à Mallemort-sur-Corrèze (Corrèze) et président de la 2ème commission. Les notaires demandent à la Banque publique d’investissement de créer « un dispositif dédié au financement des entrepreneurs de bonne foi ayant subi un ou plusieurs échecs entrepreneuriaux ». Mais comment déterminer la « bonne foi » d’un quidam qui a échoué plusieurs fois ? Ses échecs répétés ne devraient-ils pas l’amener à renoncer plutôt qu’à s’obstiner ? « C’est le rôle, en principe, de la procédure d’interdiction de gérer », répond Christophe Sardot, notaire à Lyon et rapporteur de la commission. Mais en pratique, les sanctions ne sont pas toujours prononcées par le mandataire judiciaire. Certains tribunaux rechignent manifestement à sanctionner les brebis galeuses. « A Paris, en quelques années, 4 500 liquidations judiciaires ont été prononcées, et seulement 10 sanctions. Dans la même période, le tribunal de Nanterre a conclu 1 100 liquidations et une centaine d’interdictions de gérer », a calculé le praticien. « La juste sanction des chefs d’entreprise de mauvaise foi participe de la possibilité d’un rebond pour les entrepreneurs de bonne foi », rappellent les notaires.

Dans la même logique, la 3ème commission demande qu’un dirigeant d’entreprise « placé sous curatelle ou sous tutelle soit dessaisi de plein droit de ses fonctions de représentant légal de la société ». Jusqu’à présent, curieusement, ce n’est pas le cas, même si des solutions contractuelles peuvent remédier à cette incongruité. « Elles sont rarement mises en œuvre », déplorent les praticiens.

La 4ème commission s’est consacrée au « droit international » comme les notaires continuent d’appeler les normes européennes. Lorsque « des éléments d’extranéité » (nationalité d’un contractant, lieu d’établissement ou de création d’entreprise, actionnariat) apparaît dans un contrat, les notaires préconisent l’inscription « de la loi applicable » dans le texte signé par les parties. Les praticiens ont également voté en faveur de la création d’une « société européenne adaptée aux petites et moyennes entreprises ». Alors que la profession s’oppose, avec systématisme, aux positions de l’Union européenne pour ce qui concerne sa propre régulation, la démarche peut surprendre. « Nous sommes convaincus que l’Europe, c’est l’avenir du notariat », affirme Michaël Dadoit, le rapporteur général du congrès.

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