Les cadres au forfait

Les cadres au forfait jours : un chantier incontournable en 2013

Le recours au décompte du temps de travail de certains cadres en
nombre de jours travaillés sur l’année a été instauré par la loi du
19 janvier 2000, seconde loi relative aux « 35 heures », initiée
par Madame Martine Aubry alors Ministre du Travail du gouvernement
de Monsieur Lionel Jospin.

Il s’agissait à l’époque, d’une véritable révolution puisque, pour la
première fois dans l’histoire de notre droit du travail et plus particulièrement
dans notre mode de décompte du temps de travail, le forfait
annuel en jours ne comporte aucune référence horaire et obéit à une
logique reposant sur l’autonomie du salarié dans l’organisation de
son temps de travail.
Ce dispositif écarte l’application, aux salariés concernés (essentiellement
les cadres), des dispositions relatives à la durée légale hebdomadaire
de 35 heures, aux heures supplémentaires, à la limite
maximale journalière de 10 heures et aux limites maximales hebdomadaires
de 44, 46 ou 48 heures de travail effectif.
En revanche, demeurent applicables les dispositions légales relatives
au repos quotidien minimum de 11 heures consécutives et au repos
hebdomadaire, en principe dominical, de 35 heures consécutives.
Ceci explique que ce mode de décompte du temps de travail doit être
prévu par accord collectif d’entreprise ou de branche et être accepté
expressément par le salarié concerné.
Ce dispositif est aujourd’hui entré dans les moeurs et rares sont les
entreprises qui n’ont pas recours à ces forfaits jours, le plus souvent
pour leurs cadres disposant d’un niveau de responsabilités tel qu’ils
remplissent l’exigence d’une réelle autonomie dans l’organisation de
leur emploi du temps.
Or, il convient aujourd’hui d’être particulièrement attentif à la validité
des forfaits jours ainsi utilisés, tant la Chambre Sociale de la Cour de
Cassation, sous l’influence du droit communautaire, est venue fragiliser
un système législatif à la fois utile et efficace et, pour une fois,
relativement simple.

1er coup de semonce en juin 2011

La question a été posée de la conformité du droit français relatif aux
forfaits en jours avec le droit européen, principalement avec l’article
2 de la Charte sociale européenne qui dispose que les signataires
s’engagent à fixer une durée « raisonnable » au travail journalier et
hebdomadaire aux travailleurs, afin de leur assurer des conditions de
travail équitables.
Le comité européen des droits sociaux, qui contrôle le respect de la
Charte, a d’ailleurs conclu à la non-conformité des forfaits en jours
sur le fondement de cette disposition.
Dans ce contexte, beaucoup ont craint une remise en cause du principe
même du forfait jours.
C’est dire si la position de la Cour de Cassation française était attendue,
position rendue dans un important arrêt du 29 juin 2011 qui
peut se résumer ainsi :
- elle valide le principe des conventions de forfait en jours de travail.
- elle impose toutefois d’importantes garanties devant figurer dans
l’accord collectif instaurant le dispositif, ceci au motif du principe
de protection de la santé et de la sécurité des salariés. L’accord
collectif doit en effet désormais impérativement contenir des stipulations
assurant « la garantie du respect des durées maximales
de travail, ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires ».
Notons, pour lever toute ambiguïté, que les durées maximales visées ne
sont pas les dispositions nationales, non applicables en l’espèce, soit
10 heures de travail effectif par jour et 48 h par semaine ou 44 h en
moyenne, au cours d’une période quelconque de 12 semaines. En réalité,
la volonté de la Cour de cassation, précisée par Madame Marie-
France Mazars elle-même, Conseiller doyen de la Chambre sociale à
l’origine de cet arrêt, est que « les partenaires sociaux doivent prévoir
dans leur accord un mécanisme de contrôle de la durée du travail pour
assurer le respect des règles sur les repos journaliers et hebdomadaires.
Certains accords collectifs fixent des durées maximales, d’autres non
(comme celui de la métallurgie). Ce qui importe c’est que l’entreprise
dispose de moyens de contrôle et de suivi de l’activité de son salarié,
et soit en mesure de s’assurer que la durée hebdomadaire du travail est
raisonnable. L’accord qui prévoit un tel contrôle est valide. »

2ème coup de semonce (au demeurant prévisible) : la remise en cause des forfaits jours issus de plusieurs conventions collectives de branche

Considérant que les exigences requises depuis son arrêt du 29 juin
2011 n’étaient pas remplies, la Cour de Cassation n’a pas hésité
à remettre en cause le contenu de deux conventions collectives de
branche en matière de forfaits jours :
- une première fois le 31 janvier 2012 à propos de la convention
collective des industries chimiques ;
- une seconde fois le 26 septembre 2012, à propos cette fois de la
convention collective nationale du commerce de gros.
La portée de ces jurisprudences est particulièrement pénalisante
puisqu’elle remet de facto en cause les forfaits jours pratiqués dans
toutes les entreprises des secteurs d’activité concernés qui font une
application directe des dispositions issues de leur convention collective
de branche !

Les conséquences d’une telle remise en cause sont particulièrement préjudiciables pour les entreprises concernées

En premier lieu, la remise en cause de l’accord va avoir pour effet
de rendre caduques les conventions individuelles de forfait et de soumettre
les intéressés à un module de décompte de la durée du travail
de droit commun (35 heures hebdomadaires, en conservant la même
rémunération). Une proposition de modification du contrat de travail
devra alors être envisagée, laquelle pourrait en outre permettre de
réétudier le niveau de rémunération (la durée du travail de ces salariés
étant sans doute alors amenée à diminuer).

En deuxième lieu, le forfait jours étant remis en cause, le salarié
concerné pourrait tenter de solliciter un rappel de salaires au titre
du paiement de toutes les heures effectuées au-delà de 35 heures de
travail effectif par semaine, y compris sur la période antérieure à la
remise en cause du forfait jours, dans la limite toutefois de la prescription
quinquennale.
En troisième lieu, le risque pénal pour non-respect des règles relatives
à la réglementation sur la majoration de salaire des heures supplémentaires
et la contrepartie obligatoire en repos (article R. 3124-7 du
Code du travail) ou encore le non-respect des dispositions relatives
à la durée légale hebdomadaire, la durée quotidienne maximale de
travail et le non-respect du repos quotidien, ne peut être exclu.

Les remèdes à envisager

Que l’entreprise ait recours au forfait jours par application directe
d’une convention collective de branche ou par application d’un accord
collectif d’entreprise, il faut impérativement et rapidement analyser
le contenu de ces textes conventionnels sous le prisme de la
nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation.
Si le contenu de la convention collective ne remplit pas les conditions
requises, il faut absolument passer par l’accord collectif d’entreprise
pour pallier l’insuffisance de la convention collective.
Si le contenu de l’accord d’entreprise ne remplit pas les nouvelles
conditions requises, il convient alors de le renégocier dans les meilleurs
délais.
Rappelons que la plupart des entreprises ont aujourd’hui les moyens
de recourir à cette négociation. Celles bien entendu qui disposent en
leur sein d’organisations syndicales représentatives et de délégués
syndicaux. Mais aussi, celles de moins de 200 salariés, qui ne disposent
pas de délégués syndicaux mais qui sont dotées d’un comité
d’entreprise ou de délégués du personnel. Ces dernières peuvent en
effet aujourd’hui conclure de véritables accords d’entreprise avec
leurs élus, à la condition de faire valider cet accord par la commission
paritaire de la branche professionnelle
à laquelle elles appartiennent.
Dès lors, une inertie des dirigeants et
DRH en la matière serait coupable et le
recours à l’avocat conseil de la société
concernée sera utile dans l’accompagnement
des démarches urgentes à
entreprendre en la matière.

Visuel : Photos Libres

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