Plaideur pour l'environne

Plaideur pour l’environnement contre pollueurs

Mais à qui appartient la nature ? Si la réponse est « à personne », alors on peut la maltraiter. C’est contre ce raisonnement que Christian Huglo, avocat de l’environnement, se bat depuis quarante ans. Il le raconte dans un livre.

L’homme aime raconter ses batailles. Avec sa carrure de boxeur et son débit intarissable, Christian Huglo en a livré de belles. L’Amoco Cadiz, ce pétrolier échoué face à la côte de granit rose, dans les Côtes d’Armor, en 1978, pour lequel « nous avons fait condamner la maison-mère ». L’Erika, cet autre navire chargé d’hydrocarbures qui a sombré vingt ans plus tard, au sud de la Bretagne, « une victoire totale » contre… le groupe Total. Le « procès du Rhin », mené pour défendre Amsterdam et des provinces néerlandaises contre des pollueurs situés en amont. La « bataille d’Italie », consistant à attaquer la multinationale transalpine Montedison déversant des boues rouges en baie de Seine et en Alsace.
De ces faits d’armes, l’avocat a tiré un livre, « Avocat pour l’environnement » , en librairie depuis le 26 avril. Christian Huglo ne dit pas vraiment pourquoi il a choisi de l’écrire, sauf pour le plaisir de raconter sa longue carrière de plaideur pour l’environnement. « A l’époque à laquelle j’ai débuté ma profession d’avocat, à la fin des années 1960, le mot ‘environnement’ n’existait pas, le droit y afférent étant quasi inexistant », relate le praticien. Christian Huglo s’enorgueillit d’avoir défriché, seul, puis avec sa consœur et épouse Corinne Lepage, ce nouveau droit.

Un droit encore hésitant

La formation du droit de l’environnement résulte d’un long processus, découvre le lecteur d’« Avocat pour l’environnement ». Dans un premier temps s’est posé le problème de la propriété. A qui appartient la nature ? « Traditionnellement, la faune et la flore sont appropriées et, si les fleuves internationaux sont en principe richesses communes, l’atmosphère et la mer ont longtemps été considérées comme la chose de personne, donc chose négligeable et taillable et corvéable à merci pour nos besoins de production », écrit l’avocat. Puis, il a fallu aborder la valeur des réparations. « La plupart des atteintes à l’environnement, même si elles sont réparables en argent, demeurent des dommages causés à la nature. Il vaut donc mieux chercher à prévenir que guérir », poursuit le praticien. Quelques lois visant à protéger l’environnement ont vu le jour dans les années 1970, puis 1980, mais Christian Huglo préfère s’attarder sur la jurisprudence qu’il a contribué, procès après procès, à élaborer. « Le droit de l’environnement s’est construit exactement comme le droit du travail : grâce à la jurisprudence », analyse-t-il. C’est à la suite des premières procédures qu’a émergé la notion d’étude d’impact, qui doit déterminer, avant la construction d’une infrastructure, quelles en seront ses conséquences.
Au fil des années, le cabinet Huglo-Lepage est devenu une référence. La nomination de Corinne Lepage au ministère de l’Environnement, dans le gouvernement Juppé, en 1995, a précipité la notoriété du couple, tout comme la candidature à la présidentielle de l’avocate, en 2002. « Lorsque Corinne était ministre, je me suis retiré des affaires, même si ça ne plaisait pas à tous les clients », affirme aujourd’hui Christian Huglo. Le cabinet, qui a employé jusqu’à 80 avocats mais n’en compte aujourd’hui plus que 40, crise oblige, a essaimé dans le tout-Paris des juristes spécialisés. « Tous les avocats qui font du droit de l’environnement sont plus ou moins passés par le cabinet », se vante le praticien.

Choisir ses clients

Christian Huglo, dont on appréciera le style direct et fluide, loin de l’écriture empesée de certains juristes, ne cache pas que son engagement pour l’environnement prend aussi la forme d’un militantisme. L’énergie nucléaire, à laquelle il consacre un chapitre, fait partie de ses bêtes noires. Il combat le « dogme d’infaillibilité » qui sous-tend la filière nucléaire française et raconte les nombreux incidents de procédure qui ponctuent, dans les années 1970, les procès relatifs à l’implantation des centrales. L’avocat n’a pas changé d’avis entretemps. Plutôt que de se positionner en pays prescripteur du nucléaire, « la France pourrait devenir le champion du démantèlement », propose-t-il.

Le plaideur choisit ses causes. « Vous ne me ferez jamais prendre un dossier sur le nucléaire », dit-il sans surprise. « Je serais opposé à la destruction de l’environnement au nom de motifs purement économiques », ajoute-t-il, tout en se disant au passage « très énervé contre le continent de plastique, grand comme six fois la France qui dérive dans l’océan Pacifique ». En revanche, l’avocat a déjà « défendu des cimentiers, pour élaborer des plans de protection de l’environnement ». De même, le cabinet ne « sélectionne pas les communes défendues en fonction de leur tendance à encourager ou pas l’étalement urbain ». Le praticien se montre en revanche plus que sceptique à propos de l’aéroport qui doit être bâti à une vingtaine de kilomètres de Nantes. « C’est un projet mal calibré. Les calculs économiques semblent sérieusement remis en cause et Bruxelles a envoyé une mise en demeure », observe-t-il. Pour autant, le dossier ne relève plus du droit. « Aujourd’hui, on est dans une bagarre genre Larzac », estime l’avocat.

Tribunal international

Pour Christian Huglo, les prochaines batailles sont internationales. Toujours avec Corinne Lepage, il cherche à encourager la création d’un « Tribunal international de l’environnement », comme il existe une Cour pénale internationale des droits de l’Homme. Plusieurs pistes se présentent. L’ancien dirigeant soviétique Mikhaïl Gorbatchev plaide ainsi ,depuis des années, pour une « perestroïka environnementale » et cherche à rassembler des plaintes et des preuves diverses qu’il espère transformer en dossiers d’instruction. En Europe, une pétition citoyenne réclame une directive, baptisée « écocide », qui doit faire des atteintes à l’environnement un « crime contre la paix ». Enfin, Christian Huglo se rendra bientôt à Venise, « avec Corinne », pour y rencontrer Antonio Abrami, un ancien juge italien qui milite, avec quelques organisations environnementalistes modérées, pour une cour internationale.

La tentative de création d’un tribunal voué aux victimes de Fukushima, prôné par des universitaires et des écologistes, semble en revanche hasardeuse, tranche Christian Huglo. « Je suis sceptique, car pour créer un tribunal, il faut l’accord de la partie adverse et rassembler des preuves, plutôt que se lancer dans des procès à la Zorro », dit l’avocat. Avant de se raviser : « après tout, si cela peut faire appel à la conscience internationale… ». Car l’histoire du droit de l’environnement n’est pas terminée.

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