Retraites : le compte

Retraites : le compte pénibilité, une nouvelle usine à gaz !

La pénibilité de certains métiers sera prise en compte pour le calcul des droits à la retraite des salariés du privé. Deux types de cotisations devraient être versées par les entreprises pour financer le « compte pénibilité ».

Si vous avez aimé la mise en œuvre du document unique, des accords pénibilité, des fiches pénibilité, combien vous apprécierez plus encore le compte pénibilité qui a été présenté par le gouvernement, dans le cadre de la réforme des retraites ! Ce projet, réforme ô combien technocratique, usine à gaz comme on sait en construire régulièrement, n’est certainement pas à inscrire dans les lois qui marqueront notre pays ! Dans le discours préliminaire du premier projet de Code civil, les rédacteurs soutenaient que « l’histoire nous offre à peine la promulgation de deux ou trois bonnes lois dans l’espace de plusieurs siècles ». Incontestablement, nous sommes ici loin du compte !

Quelques rappels

En 2010, la réforme des retraites Fillon a mis en place un dispositif pour les salariés souffrant d’incapacité, en raison d’une maladie professionnelle ou d’un accident du travail. Il n’est ouvert qu’aux personnes justifiant d’un taux d’incapacité au moins égal à 20%. Ce système a été jugé insuffisant par les syndicats. Le gouvernement de l’époque tablait sur 30 000 personnes par an (sur 700 000 départs à la retraite) pouvant utiliser cette dérogation ! Pratiquement, moins de 6 000 assurés ont bénéficié du dispositif !

Nouveaux principes

A partir du 1er janvier 2015, tout salarié du secteur privé exposé à au moins un des facteurs de pénibilité reconnus par le Code du travail devra être doté par son employeur d’un « compte personnel de prévention de la pénibilité ». S’agissant de la pénibilité, sont concernés des métiers liés à des contraintes physiques (manutention de charges, postures pénibles), à un rythme de travail fatigant (travail de nuit, travail répétitif) ou à un environnement agressif (bruit, agents chimiques).
Chaque trimestre d’exposition à la pénibilité donnerait lieu au « versement » d’un point sur ce compte, deux si le salarié subit plusieurs facteurs de pénibilité. Le compte serait plafonné à 100 points.
Ce système ne concerne que les nouveaux entrants sur le marché du travail. Et ce, faute de « traçabilité » pour les personnes déjà en activité. Toutefois, pour les assurés proches de la retraite, et à partir de 2015, les points trimestriels de la pénibilité seront doublés (sans obligation de formation). Ainsi, quatre années de travail pénible avant la retraite donneront droit à 32 points au lieu de 16. Un salarié pourra utiliser ces points pour trois actions : se former pour se reconvertir vers un métier moins pénible, passer à temps partiel sans perdre en rémunération, engranger des trimestres pour partir plus tôt en retraite. Selon l’avant projet de loi, 10 points seraient nécessaires pour gagner un trimestre de formation, de temps partiel ou de retraite anticipée. Les 20 premiers points utilisés devront obligatoirement servir à suivre une formation.
Le financement de ce système devrait être mutualisé, c’est-à-dire à la charge des employeurs et des salariés. Selon le gouvernement, 20% des salariés du privé exposés à la pénibilité, seraient concernés par cette mesure.
Ce dispositif va coûter cher, avec une montée en puissance progressive chaque année ! Le coût a été évalué à 0,5 milliard d’euros en 2020, 2 milliards en 2030. Suivant les informations recueillies, il y aurait deux types de cotisations pour les entreprises : une cotisation minimale versée par toutes les entreprises à partir de 2016, au titre d’une mutualisation du financement ; une cotisation propre à chaque entreprise, dont le taux sera modulé en fonction des conditions de travail.

Critiques et questions

Outre le fait que ce système introduit une usine à gaz, difficilement gérable par les DRH (déjà soumis à de multiples obligations) et que le coût du travail une fois de plus sera augmenté, certains arguments sont encore plus percutants. Ainsi, on peut légitimement s’interroger sur la place de la pénibilité dans une loi relative aux retraites. Incontestablement, il s’agit davantage d’une question de conditions de travail, et non de retraites.
Et beaucoup de questions demeurent. Comment va-t-on apprécier la notion de pénibilité ? On sait ainsi que le document unique d’évaluation des risques est instructif : 20% environ des PME au moins ne l’ont pas mis en place. En outre, qui va contrôler le respect du système ? L’Urssaf qui n’ a pourtant pas compétences en la matière ? Autre problème, le législateur avait précisé, dans la loi de 2010, que les informations contenues dans la fiche d’exposition étaient confidentielles. A priori, tel ne sera plus le cas dès lors que le salarié demande à basculer dans le temps partiel ! Autant d’interrogations qui ne sont pas levées par l’avant projet de loi !
Enfin, avant même que le projet de loi ne soit connu, les fonctionnaires et les praticiens hospitaliers réclament ce dispositif.

Le texte devrait être présenté en Conseil des ministres, le 18 septembre, avant d’entamer son parcours au Parlement, début octobre. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il s’agit d’un projet dont on n’a pas fini de parler !

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