Territoires : Ayrault

Territoires : Ayrault limite la bronca des maires

Baisse des dotations, renforcement de l’intercommunalité, prolifération du loup et surtout réforme des rythmes scolaires… Les maires en congrès attendaient Jean-Marc Ayrault de pied ferme.

Certains portent un costume-cravate, d’autres une simple veste, d’autres encore ont passé un pull ou ont gardé leur manteau, quelques originaux arborent des blousons de cuir. Mais pour le reste, ils se ressemblent. La plupart portent leur âge, entre 55 et 75 ans et l’immense majorité d’entre eux sont des hommes . Au Parc des expositions de la porte de Versailles, à Paris, novembre est le mois des maires. Leur congrès, cette année du 19 au 21, s’est déroulé dans une ambiance tendue et au milieu d’une présence policière démesurée, justifiée par la chasse au « tireur », l’homme armé finalement, arrêté jeudi 21 à l’aube.

L’an dernier, François Hollande, nouvellement élu, était venu défendre la réforme des rythmes scolaires et promettre, avant de se dédire le lendemain, une « liberté de conscience » aux élus ne souhaitant pas célébrer de mariage homosexuel. Cette année, le président de la République, opportunément en voyage au Proche-Orient, a délégué son Premier ministre. Il n’y a là rien d’exceptionnel. Nicolas Sarkozy avait fait la même chose, présent devant les maires au début de son mandat, remplacé par François Fillon ensuite.
En attendant Jean-Marc Ayrault, les esprits s’échauffent. André Laignel, maire (PS) d’Issoudun et éternel numéro 2 de l’Association des maires de France (AMF), récolte des sifflets lorsqu’il aborde la question scolaire. Un élu qui dénonce le transfert du plan local d’urbanisme aux structures intercommunales, prévu par la loi sur le logement, se fait en revanche applaudir chaudement. On proteste contre la baisse des dotations ou on soutient le « prélèvement » des loups dans les campagnes… Devant le Parc des expositions, une banderole a été déployée : « Non à la hausse de la TVA des services publics », tandis que des vétérans des manifestations contre le mariage gay distribuent des tracts. Quelques élus bretons ont apporté des bonnets de laine rouge qu’ils conservent dans leur poche, à portée de main.

Exercice de charme

Mais le Premier ministre, qui monte sur scène en musique, réussit tout de même à éviter les huées. Il est vrai que le moment est solennel. La moitié du gouvernement, de Manuel Valls à Marylise Lebranchu, de Cécile Duflot à Stéphane Le Foll, a pris place sur l’estrade. Dans la salle, on remarque Jean-François Copé ou Christian Estrosi. Toute la République dans un hangar d’exposition. Jacques Pélissard, maire (UMP) de Lons-le-Saunier et président de l’AMF, pourrait se montrer plus incisif. Mais l’homme est rond, constructif, respectueux des institutions. Il se contente d’égrener les revendications du moment, sans y mettre un ton virulent ni choisir un vocabulaire blessant. « Nos charges augmentent, nos ressources baissent », affirme-t-il. La simplification administrative, tant vantée par les gouvernements successifs, tarde à prendre forme. « Nous sommes un peu comme sœur Anne, nous ne voyons pas venir grand-chose », regrette-t-il, avant de dénoncer le « stock vertigineux de 400 000 normes ».

Le maire de Lons-le-Saunier sait que gouverner n’est pas une sinécure. « J’imagine qu’il n’est pas facile d’exercer la fonction de Premier ministre », lâche-t-il à l’adresse du locataire de Matignon. « Ce n’est pas facile d’être maire non plus », ajoute-t-il. Jean-Marc Ayrault en profite pour commencer son discours, un peu plus tard, par un « j’aurais presque pu dire ‘chers collègues’ ». Maire de Nantes pendant 23 ans, après avoir été le premier magistrat de Saint-Herblain, une commune de la banlieue nantaise, pendant 12 ans, le Premier ministre a effectué l’essentiel de sa carrière politique comme élu local. Cela lui donne une certaine légitimité pour se livrer à un exercice de charme. Comme d’autres avant lui à la même tribune, le chef du gouvernement rappelle sa « confiance dans l’action et dans l’institution » que représentent les maires. Non, 36 000 communes, ce n’est pas « trop ». Oui, le maire est l’élu « le plus connu ». Non, les édiles ne sont pas « conservateurs ». Et d’ailleurs, ils ont « fait la France » et, ne l’oublions pas, ils recueillent parfois « les confidences » de leurs administrés.

Discours de politique générale

Puis le Premier ministre évoque, l’un après l’autre, divers aspects de la politique de son gouvernement. Les « maisons de santé pluridisciplinaires », le « droit à la sécurité pour tous et partout », « l’assainissement de nos finances publiques » ou encore « la simplification des normes » défilent, comme dans un discours de politique générale. Alors que l’essentiel de ses ministres se tient tête baissée, les yeux rivés sur un smartphone, Jean-Marc Ayrault compare le plan en faveur du très haut débit, doté de « 20 milliards d’euros », au « chantier de l’électrification », bouclé il y a bien longtemps. Il promet « mille maisons de service public » pour désenclaver les « territoires les moins denses ». Il faut attendre trois bons quarts d’heure pour que soit abordée la question des horaires des écoles, grand sujet de préoccupation du moment.

Sans reculer sur le fond de la réforme, comme le demandait l’UMP, le chef du gouvernement confirme la prorogation du « fonds d’amorçage » qui doit permettre aux communes de faire face à une partie des dépenses supplémentaires. Quelques aménagements seront envisageables et la loi fera l’objet d’une « évaluation ». Mais le Premier ministre laisse à Vincent Peillon, absent du congrès, le soin de discuter directement avec les élus. Est-ce la modération de Jacques Pélissard ? Ou le flou des mesures annoncées ? Toujours est-il que Jean-Marc Ayrault parvient à éviter l’essentiel des sifflets. Et lorsque quelques maires se lâchent, il les sermonne : « En général les maires ne sifflent pas. Je ne les ai jamais entendus siffler, même le 11 novembre », gronde-t-il, comparant implicitement les impertinents aux militants qui s’en étaient pris à François Hollande sur les Champs-Elysées.

Les véritables annonces sont en revanche passées inaperçues. Le Premier ministre a promis un « programme spécifique pour les bourgs » qui connaissent « un dépeuplement ». C’est la première fois que le gouvernement prend en compte cette dévitalisation des centres-villes, qui touche le pays. Matignon s’engage aussi à soutenir une proposition inédite du président de l’AMF. député du Jura, Jacques Pélissard a en effet déposé un amendement au projet de loi de Finances pour 2014 visant à encourager la fusion des communes. Comme si, enfin, les élus s’apercevaient que le mille-feuilles territorial était devenu invivable. Et le Premier ministre, grand prince, approuve : « le gouvernement soutient votre initiative ». L’année prochaine, les maires seront peut-être moins nombreux.

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