Une collectivité publique

Une collectivité publique n’a pas à assumer les conséquences indemnitaires d’un retard de chantier provoqué par d’autres constructeurs

Dans un important arrêt, le Conseil d’Etat [1] vient de préciser sa jurisprudence
sur la possibilité pour un entrepreneur qui subit un préjudice
à raison de l’allongement du délai de réalisation d’un chantier d’en
demander directement réparation à la personne publique alors que
ce retard est imputable à un autre constructeur.

Les faits de l’espèce sont classiques. Dans le cadre d’une opération
de « restructuration » d’un lycée, la Région Haute-Normandie a conclu
plusieurs marchés de travaux, un marché de maîtrise d’oeuvre et un
marché d’ordonnancement – pilotage – coordination (« OPC »). Le
chantier ayant connu un important retard, la société titulaire du lot
« menuiseries intérieures – cloisons », a déposé une réclamation indemnitaire
auprès de la Région Haute-Normandie afin d’être indemnisé
des surcoûts supportés à raison de cet allongement du délai de
réalisation des travaux (frais d’immobilisations de main d’oeuvre et de
matériels essentiellement).

L’examen circonstancié des faits de l’espèce a permis d’établir que
l’important retard constaté sur le chantier découlait essentiellement
d’une désorganisation totale du chantier. Or, la Région Haute-Normandie
ne pouvait pas, en sa simple qualité de maître de l’ouvrage,
être tenue pour responsable de cette désorganisation du chantier.
Concrètement, la Région n’était pas responsable du retard constaté
sur le chantier puisque ce retard découlait du comportement sur le
chantier d’autres entrepreneurs et de la négligence de la maîtrise
d’oeuvre et de l’OPC dans la conduite de son exécution.

Prenant acte de cette situation, le tribunal administratif de Rouen a
refusé de faire droit à la demande indemnitaire de la société ayant
réalisé les menuiseries intérieures au motif que la Région Haute-Normandie
n’était pas responsable du retard de chantier. Saisi en appel,
la Cour administrative d’appel de Douai a, au contraire, fait droit à la
demande de la société. Pour ce faire, la Cour a estimé que le maître
d’ouvrage devait assumer auprès des entreprises victimes du retard
l’ensemble des fautes et agissements des intervenants responsables
de l’allongement de la durée des travaux. Cette solution conduit donc
le maître de l’ouvrage à devoir prendre en charge l’indemnisation
des entreprises victimes d’un retard de réalisation de chantier, même
si la personne publique n’est pas responsable de ce retard. La solution
adoptée par la Cour d’Appel est d’une sévérité absolue pour les
maîtres d’ouvrage et fait donc peser sur ces derniers une responsabilité
sans faute.

Saisi en cassation, le Conseil d’Etat a, fort heureusement pour les
maîtres d’ouvrage, recadré l’état du droit en rappelant que la responsabilité
de la collectivité ne peut être engagée que s’il est établi que
la personne publique est directement responsable du retard constaté
sur le chantier. Si tel n’est pas le cas, et que le retard découle donc
du comportement d’autres intervenants, la responsabilité de la personne
publique ne peut pas être engagée. Il appartient, dans cette
hypothèse, aux entreprises ayant subi un préjudice de mettre en
cause directement la responsabilité des constructeurs responsables
de l’allongement du délai de réalisation du chantier. Dans les conclusions
rendues sous cet arrêt, le rapporteur public DA COSTA résume
parfaitement cet état du droit en indiquant qu’en « absence de toute
méconnaissance de ses obligations, le maître de l’ouvrage n’est pas
responsable sans faute des agissements des différents constructeurs,
et il ne saurait davantage être tenu de jouer par principe le rôle de
guichet unique pour la ou les victimes ».

La solution adoptée par le Conseil d’Etat constitue un appel d’air
pour les maîtres d’ouvrage. Saisi d’une réclamation d’un constructeur
(entreprise ou maître d’oeuvre) exigeant une indemnisation à raison
d’un allongement du délai de réalisation des travaux, ce dernier
devra, pour obtenir gain de cause, démontrer que l’allongement de
la durée du chantier est directement imputable à une faute ou un
agissement de la collectivité publique. Si tel n’est pas le cas et que le
retard découle d’une désorganisation du chantier non imputable au
maître de l’ouvrage, le constructeur s’estimant victime du retard devra
directement assigner le ou les constructeurs responsables dudit retard.

[1C.E. 7° et 2° sous-sections réunies 5 juin 2013, Région Haute-Normandie, req. n° 352.917

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