La SEC à Hollywood

La SEC à Hollywood

Depuis longtemps, les Etats-Unis trustent la première place mondiale dans la production cinématographique. Ils déploient un talent inégalé pour créer de l’illusion. Qu’il s’agisse de films-catastrophe, de séries policières, de drames psychologiques taillés à la serpe ou de comédies légères ciselées à la tronçonneuse, Hollywood aligne les succès en salle comme les champions de tennis du moment collectionnent leurs trophées. En conjuguant la puissance de feu d’un Nadal et l’audace d’un Federer dans le scénario. Le fragile équilibre se situe autour de la ligne blanche : en deçà, l’histoire est fadasse et fait l’effet du Valium sur le spectateur ; au-delà, elle n’est plus crédible et le service se transforme en double faute. L’art du scénario réside dans la maitrise de la limite de l’outrance.

En matière d’outrance, les Américains en connaissent un rayon. Pour ce qui est des limites, c’est une autre paire de manches. Et il semble bien que l’expertise hollywoodienne n’ait pas franchi le seuil des organismes de contrôle et de régulation de la finance. La SEC américaine – l’équivalent de notre Autorité des marchés financiers – vient de livrer son rapport d’enquête sur le « bug » de Wall Street du 6 mai dernier : pendant quelques minutes, le marché avait plongé de près de 10% avant de se redresser tout aussi brutalement. Une syncope de courte durée, mais qui constituait le symptôme alarmant d’un possible délabrement du patient. Les experts de la SEC ont délivré leur diagnostic : les ordinateurs en sont la cause. Ceux qui pratiquent le « trading de haute fréquence », un sport de combat consistant à multiplier le nombre d’ordres fictifs afin de prendre de vitesse les autres machines dans l’exécution des ordres réels. Du dérivé de virtuel, en somme ; de l’illusion au deuxième degré. Une technique utilisée par les chasseurs, avec les appeaux et les leurres. Que se serait-il passé ? Un courtier du fin-fond du Kansas aurait vendu un paquet de contrats à terme, ne représentant qu’environ 1% du volume des transactions quotidiennes habituelles. Mais voyez-vous, ce jour-là, le marché était morose et atone. Et les ordinateurs auraient fait une colique dépressive. Injustifiée, bien sûr : les machines n’ont pas le droit aux états d’âme. La faiblesse de cette histoire édifiante, c’est que les ordinateurs en cause sont automatiquement déconnectés lorsque les cours s’éloignent du canal de leurs écarts ordinaires : leurs programmes ne sont pas adaptés à la tempête. Si bien que lorsque le marché a été privé de la multitude des ordres fictifs qui assurent sa « liquidité », ce sont les « vrais » ordres, ceux des opérateurs humains, qui ont provoqué le plongeon. Pour que Wall Street maintienne sa fiction, cette situation est intolérable : voilà pourquoi désormais, en cas de chute brutale du marché, la Bourse sera fermée. Et si cela ne suffit pas à la maintenir en coma assisté, on interdira au pékin d’intervenir, en accordant aux ordinateurs le monopole des transactions. Les Américains ont inventé le cinéma numérique sans acteurs ; ils s’apprêtent à mettre en place la Bourse virtuelle sans opérateurs boursiers. Le scénario est vraiment ambitieux…

La recette du jour

Réception à la Wall Street

Vous adorez recevoir mais la popote vous ennuie. Et elle coûte cher. Réunissez vos commensaux et arrosez-les de messages subliminaux à haute fréquence, évoquant successivement l’appétit et la satiété. L’estomac tout retourné, ils refuseront de passer à table. Renvoyez-les dans leurs foyers avec un chèque de 10% des économies réalisées : vous passerez pour un mécène roboratif.

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