La métaphore du Titanic

La métaphore du Titanic

Grâce à la littérature, les Britanniques ont acquis la réputation de développer une pathologie schizophrénique dans leurs rapports à la loyauté. Voyez Le Pont de la rivière Kwaï  : pour rétablir la dignité de ses hommes, le colonel Nicholson n’hésite pas à les impliquer dans une entreprise hostile à la sécurité de son propre pays. Voyez Smiley, le patron des Services secrets de Sa Majesté dans les romans de John Le Carré : « La loyauté envers qui ? » se demande-t-il tous les cinq chapitres. Mais Smiley corsette ses angoisses métaphysiques sous une carapace de tortue ; il ne compromet pas les intérêts de ce qui reste de l’Empire britannique, même s’il les trouve vulgairement épiciers. Il semble bien que les mêmes déchirements aient affecté les officiers de la marine marchande, si l’on en croit la petite-fille du seul d’entre eux qui ait survécu au naufrage du Titanic. Laquelle publie un livre sur le sujet, en cette période opportunément proche du centenaire de la catastrophe, et contemporaine des fouilles très médiatisées de l’épave. Que dit-elle, notre Louise Patten ? Que le Premier Officier avait bien repéré le fatal iceberg et donné immédiatement l’ordre approprié : « A tribord toute ! ». Seulement voilà : en 1912, le timonier ne pouvait connaître le moyen mnémotechnique promu par le capitaine Haddock (bâbord à gauche et tribord à droite, comme dans « batterie »). Et le marin d’eau douce barra fautivement à gauche, droit sur l’iceberg. Incroyable, non ? Incroyable, mais probablement faux.

Plus crédible, toutefois, est l’ordre qu’aurait donné le propriétaire de la White Star : poursuivre la route après l’avarie, accélérant ainsi la survenue du naufrage inévitable. Il en allait de sa réputation de ne pas être ralenti par un glaçon. L’Officier Charles Lightoller Patten – le grand-père de Louise –, mort en 1952, aurait gardé ses secrets par loyauté envers la White Star, qui eût sombré sous de telles accusations. Il aura donc fallu attendre cent ans pour que des faits possiblement authentiques soient dévoilés. L’économie mondiale, face à l’iceberg de la crise, présente une analogie troublante avec l’histoire du Titanic. Faudra-t-il attendre un siècle pour que le descendant d’un ministre nous explique comment, face au mur que les vigies attentives avaient signalé à l’horizon, les grands timoniers qui pilotent les nations ne sont pas parvenus à distinguer la droite de la gauche pour l’éviter ? Ils ont apparemment choisi d’aller tout droit et de mobiliser une batterie d’armements obsolètes pour tenter de dézinguer l’obstacle. La White Star de la gouvernance mondiale pourrait bien, pour l’occasion, perdre sa réputation. Et nous autres passagers devrions commencer à apprendre à ramer.

La recette du jour

Scotch on the rock

Emplissez votre verre d’un bloc de glace. Versez dessus, jusqu’à épuisement, toutes vos bouteilles de whisky. Votre bonne éducation vous interdisant de laper les débordements, votre soif ne sera jamais étanchée. Mais au moins votre dignité aura-t-elle été préservée.

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