La grève, antidote du spleen
- Par Jean-Jacques Jugie --
- le 7 septembre 2010
Bon, aujourd’hui, c’est une journée de grogne générale. Si vous êtes gréviste, vous pestez contre le projet de loi sur les retraites. D’accord, ceux qui vivent leur travail comme un calvaire ne se réjouissent pas de devoir tirer deux ans de plus. Mais n’est-ce pas se tromper de cible que de contester la réforme projetée ? Laquelle est à la fois inévitable et insuffisamment rigoureuse pour garantir l’équilibre des régimes dans le long terme, que le travail soit un plaisir ou un fardeau. Le tour de vis envisagé n’est donc qu’un début : vous n’avez pas fini de faire grève, et probablement en vain. Si vous n’êtes pas gréviste, vous pestez contre ceux qui le sont : les transports collectifs étant perturbés, les routes se retrouvent encombrées. Vous allez être en retard, rater des rendez-vous, devoir sauter le déjeuner, être énervé. Une journée pourrie. Si vous êtes employeur, vous pestez contre la baisse de production qui va en résulter : pour une fois que vos salariés n’ont rien à vous reprocher, c’est un peu fort de café. Si vous êtes ministre, vous pestez contre l’érosion probable de la cote du Gouvernement, qui n’est déjà pas brillante ; si vous êtes ministre des retraites, vous craignez de devoir prendre bientôt la vôtre, alors que vous n’avez pas atteint l’âge légal que vous préconisez.
Bref, voilà bien des désagréments pour des manifestations qui auraient dû avoir lieu un dimanche. Car dans un conflit du travail, il est compréhensible que les salariés cherchent à pénaliser l’entreprise, son dirigeant et ses actionnaires, en paralysant l’activité. Mais là, c’est le Gouvernement qui est directement dans le collimateur et rien ne viendra empêcher les services de passer toute la journée à comptabiliser les processions de grévistes : leur nombre étalonnera la température du désamour populaire envers le pouvoir, mieux qu’un sondage d’opinion pifométrique. Il semblerait en effet que le véritable motif de la protestation ne soit pas la réforme des retraites, dont chacun sait, sans nécessairement le reconnaître, qu’elle est nécessaire et qu’elle aurait dû être initiée bien plus tôt. Il s’agirait plutôt de l’expression d’un malaise diffus aux causes multiples, parmi lesquelles les dommages collatéraux de la crise. Un malaise exacerbé par le sentiment que les autorités sous-estiment les embarras présents et les dangers à venir, ou qu’elles en minimisent délibérément l’impact. Il n’est pas impossible que les populations aient la prémonition du délabrement de l’ordre ancien, présageant des lendemains incertains et compliqués. Si bien que la grève du jour exprime peut-être la propagation d’un spleen baudelairien chez nos concitoyens, sur lesquels « l’Angoisse despotique plante son drapeau noir ».
La recette du jour
Retraite en conserve
Vous craignez à juste titre que vos pensions futures ne vous condamnent à une longue retraite parcimonieuse. Faites un procès à votre cuisinier pour son intégrisme diététique, à votre médecin pour sa compétence abusive et à la Sécu pour avoir financé votre santé sans barguigner. Quand vous serez débouté, épuisez-vous en attaquant l’Etat pour sa justice de bastringue. Votre retraite ne sera pas moins parcimonieuse, mais elle sera plus courte.