Le feu au lac ?

Le feu au lac ?

Bon, autant l’avouer tout de suite : quand il faut payer ses impôts, c’est toujours un moment pénible. Ce n’est pas que l’on soit exagérément pingre, ni mauvais citoyen, ni tireur dans les coins. Mais enfin, quand on gagne honorablement sa vie, la note est vite salée. Même si le bouclier garantit de conserver la moitié de ce qui reste… après paiement des charges sociales sur ses revenus, de la TVA sur ses achats et de la TIPP sur le carburant – entre autres soustractions. Puisque la dépense publique lessive pas loin de 60% de la richesse produite par le pays, il faut bien trouver l’argent quelque part. Voilà pourquoi le contribuable français est devenu expert en déductions, réductions d’impôt et niches fiscales, dont la liste est aussi variée que feu le catalogue de Manufrance. Et si le pékin se perd dans la jungle du Code général des impôts, les professionnels de la discipline sont là pour le guider.

Sans pour autant revendiquer une place sur le podium des fortunes françaises, quiconque dispose d’un peu de galette se préoccupe légitimement de l’exposer le moins possible à l’érosion fiscale. Laquelle est sujette à des changements climatiques ravageurs (comme on le verra sans doute bientôt). Pour un conseiller financier, ce serait donc une faute professionnelle de ne pas recommander aux détenteurs d’un patrimoine significatif de conserver “une poire pour la soif” à l’abri de la concupiscence étatique. Mais évidemment, planquer ses sous derrière un secret bancaire étranger, c’est illégal. Une personnalité publique ne peut donc être suspecte d’avoir cautionné de telles pratiques, même par distraction, même par simple inertie, même au nom d’hypothétiques intérêts supérieurs de la Nation. Car il en résulterait des interrogations collatérales bien plus dérangeantes. Voilà pourquoi la tribune intitulée « Halte au feu ! », publiée dans Le Monde et cosignée par Mme Veil et Mr Rocard, devrait avoir pour effet d’ajouter de l’huile sur le brasier de l’affaire Bettencourt plutôt que d’apaiser l’exaspération. Car elle semble refléter l’union sacrée du microcosme politique autour de son nombril, par la voix de deux retraités des combats partisans, à ce titre drapés d’une aura de respectabilité. Leur plaidoyer sentencieux pour la « dignité » prétend étouffer les questions impertinentes sur la probité des politiciens. C’est assez ambitieux, pour ne pas dire plus sans se montrer désobligeant. Car le devoir de « tolérance », invoqué au nom des principes démocratiques, s’applique au respect des opinions ; il ne vaut pas indulgence vaticane pour des agissements hérétiques – si ces derniers étaient avérés, bien entendu. Comme sapeurs-pompiers de la réputation, nos deux anciens ministres ne sont pas vraiment convaincants.

La recette du jour

Suprême de réputation

Pour ne pas être critiquable, soyez irréprochable. Pour ne pas être critiqué, faites n’importe quel métier. Sauf la restauration. Si vous avez quand même choisi cette voie et que vos concurrents vous cherchent des poux dans la toque, demandez à Escoffier et Brillat-Savarin de publier une tribune dans Le Monde. Qui appelle à la tolérance pour la sauvegarde de la démocratie gastronomique. Cela n’améliorera pas votre réputation, mais celle de vos adversaires en prendra un sacré coup.

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