Retour au confusionnisme

Retour au confusionnisme

Après un lever de rideau encourageant quant à la réflexion à mener pour conduire une politique conforme à la juste appréciation d’une conjoncture complexe, voilà que les épiciers de la tambouille fiscale pointent déjà le nez avec leurs gris-gris surannés et démonétisés. Gare à la Fronde s’ils ne sont pas chassés du Temple…

Ce n’est pas sans une pointe d’envie et de jalousie que de grands pays, d’une envergure économique supérieure à la nôtre, observent les travaux de la haute administration française. Héritière de l’ordre gestionnaire impeccable de la Rome impériale, formée sinon formatée à l’excellence, entretenue et améliorée à grands frais, maintenue dans la conviction de sa supériorité immémoriale, notre machinerie administrative est une sorte de V8 américain accordé à la jurisprudence symphonique de la philosophie grecque. Un bijou. Il en résulte que le niveau des débats de fond est élevé : pays des Lumières nous fûmes, Lumières nous resterons tant que la haute fonction publique perpétuera son pouvoir – une sorte d’aristocratie de cabinet, représentative de la place éminente des clercs dans notre environnement décisionnel.

Ainsi donc, l’opportunité du récent remaniement rendait probable l’émergence de débats mémorables, vu qu’il va falloir concilier des points de vue très éloignés les uns des autres, tout en donnant le sentiment que le Gouvernement mène une action cohérente, réfléchie, structurée, au moment où il devient clair que la « boîte à outils » de Matignon ne peut offrir que les instruments ordinaires du libéralisme à la saignée (l’Europe en rajoute en exhortant de nouveau la France aux réformes, avec la constance d’un cabri qui aurait été privé de petit-déjeuner). Bref, les attentes sont importantes. Il était donc naturel que les observateurs patentés fussent impatients de connaître la suite : le plan qui allait entraîner la mécanique induite par le nouveau paradigme de gestion. Se rendre au plus tôt à la case « Au commencement était l’action », pour adopter la lecture blasphématoire que fait Goethe du Nouveau Testament.

L’appel de la médiocrité

A ce stade, il nous faut rapidement déchanter. Car après une mise en bouche prometteuse, voilà que se mettent en place les éléments du décor destinés à crédibiliser la politique supposément adossée au diagnostic réalisé. Et là, stupeur et tremblements : le poumon ! Ou plus exactement le bâtiment, pour user des éléments de langage plus en rapport avec les temps présents qu’avec le siècle de Molière. L’affaire arrive vraiment comme un cheveu sur la soupe, même s’il est aisé de comprendre les préoccupations de Bercy : le BTP constitue depuis toujours un énorme contributeur à la croissance (quelques seaux de béton, assortis de la paperasse ad hoc, ont un pouvoir fantastique pour faire lever la valeur ajoutée). Et il faut bien reconnaître que chez nous, l’activité du secteur ne cesse de régresser pour la troisième année consécutive, laissant loin les objectifs gouvernementaux de construction de logements neufs, sans que la rénovation de l’ancien vienne compenser les manques éventuels. Car au final, on finit par ne plus distinguer ce qui relève de besoins avérés de ce qui appartient à l’univers plus ou moins fantasmatique de chaque ministre du Logement, chacun ayant à cœur de laisser son nom à un « dispositif » qui perdure. Ainsi le dernier en date, le « Duflot » qui poursuit la longue lignée de ses prédécesseurs, assorti des aménagements homéopathiques supposés le rendre préférable au régime précédent dans l’esprit des investisseurs. Autant dire que depuis la « loi Malraux » (1962), la défiscalisation immobilière a connu des périodes plus spectaculaires – disons, objectivement plus rémunératrices pour les aficionados de la rénovation. Depuis, les régimes en cours sont devenus essentiellement symboliques : des régimes prolétariens, dans lesquels Bercy consent un avantage fiscal misérable, sans rapport aucun avec les risques assumés par l’épargnant, et ce moyennant des concessions heureuses sur le plan collectif (comme la baisse du loyer ou la minoration des garanties) mais attentatoires aux espérances de rentabilité.

Il est ainsi navrant qu’à ce stade initial de l’ouverture du dossier fiscal, qui va accompagner la vie publique jusqu’à la fin de l’année, on en soit déjà bloqué à des questions aussi épicières que le fait de savoir si la famille peut loger dans un immeuble fiscalement amortissable, ou si l’exigence d’une durée de location moindre (six ans au lieu de 9 ou 12) rendrait l’investissement à ce point irrésistible pour les investisseurs. Dans un élan d’enthousiasme qui ne valorise pas son esprit critique, un journaliste du quotidien Les Echos y a vu l’ébauche d’un placement immobilier « liquide », du fait que la location pouvait ne durer que six ans. Un ange passe. On est ici sur les terres sinistrées qu’ont occupées les conseillers en « défisc » pendant de longues années, qui ont noirci quantité de fichiers Excel pour tenter de démontrer le « rendement fiscal » de leurs programmes d’investissement, pendant que les services fiscaux répandaient des restrictions méphitiques dans les textes d’application. Ce petit jeu a désormais épuisé ses effets, qu’il s’agisse de dépouiller le contribuable naïf ou de soustraire à l’Administration des sommes qu’elle ne veut pas lâcher. Si le débat sur les ressources budgétaires devait emprunter des voies aussi médiocres que celles qu’il vient d’ouvrir, la « Fronde » en cours pourrait alors revêtir autant d’intensité que son illustre devancière – et ce n’est pas peu dire.

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