L'ivresse des hauteurs

L’ivresse des hauteurs

Bien des faits contemporains nous rappellent au souvenir de Nicolas Fouquet, ses pompes et ses œuvres. Ce n’est pas que les modernes surintendants des Finances détroussent le Trésor à leur profit, pour donner des fêtes somptueuses dans leurs châteaux de Vaux-Le-Vicomte. Encore que les grands commis de l’Etat, et leurs conseillers en souliers bouclés, marquent une propension maladive à se comporter comme de petits marquis, et donc à susciter une légitime détestation. Mais nous vivons des épisodes comparables à ceux du feuilleton louis-quatorzien : un pays étrillé par la charge d’emprunts ruineux, dont les intérêts grossissent démesurément la fortune des prêteurs et favorisent la concentration exceptionnelle des richesses. Avec pour corollaire une pluie d’impôts massacrants pour le plus grand nombre, pendant que l’Etat se dépouille de son argenterie et plie le genou face aux exigences de ses tout-puissants créanciers. Certes, le Roi Soleil eut les moyens de rétablir sa souveraine autorité et de museler la finance de son temps, par des voies souvent peu conformes à l’orthodoxie judiciaire. Il ne semble pas que les monarques de notre siècle soient disposés à mobiliser le pouvoir, ni la volonté, de combattre la dissolution de l’intérêt général dans la cassette des usuriers.

Mais c’est la devise de Fouquet qui nous interpelle ce matin : « Quousque non ascendam ? ». Jusqu’où ne monterai-je pas ? En d’autres termes, la manifestation d’une pathologie commune à l’espèce humaine : l’ivresse de l’altitude. Ou la folie des grandeurs, si l’on préfère. Un nouvel exemple nous en est donné par la mise en chantier imminente de la Kingdom Tower, qui grattera le ciel de Djeddah à 1.000 mètres d’altitude : l’Arabie Saoudite ravira ainsi le record mondial à Dubaï, en rajoutant la longueur d’un terrain de rugby et de ses dégagements au Burj Khalifa, actuel détenteur du titre. On devrait donc pouvoir, sur les temps qui viennent (la construction durera cinq ans), mesurer la pertinence du Skyscraper Index : selon Andrew Lawrence, son inventeur, il y aurait une corrélation directe entre l’édification d’immeubles de très grande hauteur et la survenance des récessions. Au motif que de tels projets naissent à la fin des cycles économiques d’expansion, au moment où les investisseurs sont convaincus que les arbres monteront jusqu’au ciel. Si la déprime devait affecter ce coffre-fort pétrolier qu’est l’Arabie, il ne nous resterait, à nous autres Français qui n’avons que des idées (pas toujours judicieuses), à nous replier dans nos châteaux et à vivre chichement du produit de nos fermes. En souhaitant que l’orage ne dure pas trop longtemps.

La recette du jour

Le syndrome de Fouquet

Votre insolente prospérité vous encourage à vous hausser du col. Et à vouloir construire un étage supplémentaire à votre château princier, qui est pourtant déjà trop vaste et ruineux à gérer. Soyez raisonnable : gardez la tête près du bonnet et faites soigner les chevilles de votre Skyscaper Index, par injection d’une bonne dose d’humilité. Vos héritiers vous remercieront.

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