La bombe du muguet

La bombe du muguet

Ah, ma pauvre dame, les traditions se perdent. Celle, en particulier, de la trêve dans les conflits guerriers. Depuis la plus haute Antiquité, celle que narre la mythologie grecque, les combattants s’accordaient une pause consensuelle dans leurs étripades réciproques. A l’occasion de moments considérés comme sacrés, qui rappelaient leur humaine condition aux militaires, aux mercenaires et à leurs commettants. Un zeste de compassion dans un monde de brutes. Certes, nul ne s’attendait à ce que les coalisés du désert offrissent à Kadhafi un brin de muguet nantais, d’autant que l’exceptionnelle précocité du printemps avait prématurément endeuillé les champs de clochettes. Mais entre offrir un porte-bonheur symbolique à son ennemi et lui expédier un tombereau de bombes sur la cafetière, il y a semble-t-il plus qu’une nuance dans la conception de la trêve. Nos très lointains ancêtres, ces prétendus barbares, vivaient sans les conventions internationales qui encadrent désormais le droit de la guerre ; mais pour eux, il était tabou d’assassiner le chef ennemi. Cela se produisait parfois, bien sûr ; mais l’auteur en supportait la malédiction jusqu’à la septième génération.

Certes, « L’Aube de l’Odyssée » n’est pas une guerre. C’est une action humanitaire visant à « protéger les populations civiles » qui s’opposent, les armes à la main, aux forces militaires du régime. Mais si l’on en juge au raid du week-end dernier, cette protection consiste à exterminer ceux des factionnaires qui sont indésirables, selon les canons immaculés de la morale coalisée. Autant de bonne foi va finir par épuiser le capital de légitimité de l’intervention, dont la licéité était déjà bien entamée. Même aux yeux de ceux qui réprouvent la dictature du Colonel. On ne s’étonnera guère, en conséquence, que les ambassades à Tripoli de la Grande-Bretagne et de l’Italie aient été violées. Prudente, la France s’était mise en pension à l’ambassade de Russie. Le plus extraordinaire de cette affaire, c’est que les assaillants aient eu l’impudence de maintenir leur représentation diplomatique dans un pays qu’ils pilonnent sans relâche et dont ils veulent supprimer le dirigeant. Et le plus cocasse au cas d’espèce, c’est de dénoncer la « nouvelle atteinte aux obligations internationales » de Kadhafi. Voilà comment naît et se propage le « terrorisme » : une réaction meurtrière et désespérée à l’outrecuidance du plus fort, quand il abuse sans vergogne de sa puissance. Par rapport aux temps anciens, notre époque n’est pas moins barbare ; mais elle est plus vulgaire. Une civilisation ne meurt pas pour ses manquements à la morale, mais elle ne résiste jamais à ses accommodements avec l’indignité.

La recette du jour

Poisons de mai

Bien que fortuné, votre voisin est fort-en-gueule et mal élevé. En plus, il a une sale tête. Accusez sa haie d’aubépines de vous faire une ombre illégale ; ses chiens de terroriser le voisinage ; ses canaris d’esbigner le silence ; ses taupes de labourer vos massifs ; ses pensées impures de polluer votre sérénité. Si rien n’y fait, envoyez-lui des baies de muguet le 1er mai : c’est un poison redouté.

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