La prohibition et l'horte

La prohibition et l’hortensia

L’enfer, dit-on, est pavé de bonnes intentions. Voyez par exemple la prohibition de l’alcool : l’abus d’icelui ravale l’homme ivre au rang de la bête sobre, c’est vrai. Et encore n’avez-vous jamais croisé un animal pompette : l’éléphant, par exemple, adore se poivrer la trompe avec des fruits fermentés. Voilà pourquoi il est dangereux de laisser traîner des fruits blets dans les magasins de porcelaine. Mais il faut bien faire ce constat : la prohibition a provoqué plus de dommages que de bienfaits à l’espèce humaine. En Russie, elle fut en vigueur de 1914 à 1925, pile poil pendant la révolution d’Octobre. L’Histoire a désormais démontré que la tempérance des soviets nuit davantage au moujik que l’abus de vodka. Aux Etats-Unis, la prohibition fut générale de 1919 à 1933, pile poil pendant l’émergence de la Grande dépression : la coïncidence ne peut pas être fortuite. Mieux vaut donc laisser les pochtrons étancher leur soif que d’exposer les populations à la malnutrition. Telle est du moins la réflexion que nous inspire la terrine de lièvre du petit-déjeuner, arrosée d’un Gigondas de derrière les fagots.

En conséquence, on comprend sans peine que les gouvernements du monde entier s’interrogent sur la pertinence de la prohibition du cannabis. Même le Président américain, dont les compétences médicales sont reconnues par la Faculté, ne voit pas plus de dangers à un joint qu’à un bon verre de vin. Pourvu que ce soit l’un ou l’autre, bien entendu. Du reste, la pratique des hallucinogènes n’épargne pas les animaux : les gorilles de la forêt équatoriale se font volontiers un petit shoot d’iboga – un arbuste considéré comme l’« Arbre de la connaissance » dans certains rites africains. Et les rennes canadiens adorent planer en boulottant les petits champignons rouges qui colonisent l’écorce des bouleaux. Seulement voilà : dans l’espèce sapiens, la prohibition de certaines substances suscite l’émergence de réseaux criminels. Qui fournissent les matières illégales ou des produits de substitution, selon la théorie des « forces de Porter » bien connue des stratèges de marché. Là, les choses quelquefois se gâtent, car les substituts peuvent se révéler plus dangereux que les originaux. Comme l’hortensia, qui fait aujourd’hui l’objet d’une razzia dans les jardins des particuliers : fleurs et feuilles de l’Hydrangea macrophylla produiraient les mêmes effets que la marijuana. Plus de l’acide cyanhydrique, celui qui fut en son temps domestiqué sous le nom de Zyklon B. Moralité : les hortensias, mieux vaut se contenter de les regarder…

La recette du jour

Légalité en massifs

Vous êtes légitimement fiers de vos massifs d’hortensias. Il vous faut désormais y renoncer : vous risquez d’être accusé de trafic par la maréchaussée. Cultivez plutôt de la mandragore, et adonnez-vous impunément à la sorcellerie.

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