Les indulgences de (...)

Les indulgences de Jamie

C’est plutôt cool, l’économie de marché. Elle permet de libérer l’individu de toutes les préoccupations existentielles, de toutes les interrogations morales, de toutes les angoisses métaphysiques qui polluent son quotidien. Car elle autorise la grande lessive des consciences par une transaction. Puisque tout a un prix dans une société de marché, la possibilité est ouverte à chacun de faire récurer sa batterie de casseroles, pour peu qu’il ait les moyens de s’offrir la machine à laver appropriée. En témoigne le feuilleton américain de la banque JP Morgan, convaincue d’avoir travesti la réalité, proféré des mensonges impies, roulé ses clients dans la farine, escroqué des grandes firmes, ruiné quantité de pékins et ainsi contribué à déclencher la plus grande crise que l’espèce ait essuyée depuis longtemps. Laquelle n’est toujours pas achevée. Eh bien, Jamie Dimon, le patron de la JP Morgan, est en passe de conclure un deal avec le Département de la Justice de son pays. Au terme duquel, en contrepartie du paiement de la somme rondelette de 13 milliards de dollars, les charges retenues contre elle seraient levées. Les discussions se poursuivent afin de ne pas qualifier la somme en cause d’« amende », car cette appellation consacrerait la reconnaissance implicite par la banque d’avoir commis une faute. Ouvrant ainsi la voie à des poursuites pénales, alors que les charges au civil auraient été effacées. Il s’agit plutôt d’une « indulgence », au sens que lui donne la Pénitencerie apostolique.

Le plus remarquable de l’affaire réside dans les commentaires dont nous gratifie la presse française. Ici, l’accent est mis sur le montant record de la transaction destinée à « solder la mauvaise conduite  » de la Banque. Ainsi, pour un établissement financier, arnaquer ses contemporains relève d’une incivilité de sauvageon. Que l’on peut sanctionner en lui collant une admonestation et un procès-verbal pour « mauvaise conduite ». Assortis de la promesse – croix de bois, croix de fer – qu’elle contrôlera à l’avenir ses tentations sulfureuses. Ailleurs, c’est l’analyste financier qui s’inquiète : les 13 milliards en question représentent plus de la moitié du profit de la firme sur le précédent exercice. Vous vous rendez compte ? Comment, dans des conditions aussi rigoureuses, la banque pourra-t-elle poursuivre le projet de racheter ses propres actions ? Le cours boursier pourrait s’en trouver affecté. Ce qui, convenons-en, est autrement plus grave que de détrousser ses semblables. Il faut en conclure qu’en économie de marché, l’espace financier est désormais « sanctuarisé ». Echappant ainsi à la Loi qui s’impose au commun des mortels. Voilà qui est rassurant.

La recette du jour

Sanctuaires de l’arnaque

Vous avez compris que nul ne peut désormais devenir prospère sans détrousser ses contemporains. Si vous ambitionnez de devenir riche, agissez en conséquence. Mais avec circonspection. Devenez banquier et installez votre siège social dans une cour d’école : vous serez doublement sanctuarisé. En cas de « mauvaise conduite », vous irez au coin. Et vous serez privé de bons points. Mais de prison, point.

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