Les PME se heurtent (...)

Les PME se heurtent à un plafond de verre

Mal financées, peu exportatrices, peu innovantes… le bilan dressé par l’économiste Elie Cohen sur la capacité d’innovation des PME en France est désastreux. Et ce, malgré les mesures mises en place par le gouvernement. Mais des pistes existent pour tenter de sortir de cette situation.

Dans l’industrie, « nous avons perdu en moyenne 80 000 emplois, par an ces cinq dernières années », rappelle Elie Cohen, économiste, directeur de recherches au CNRS, et auteur du récent ouvrage « Penser la crise » (Fayard). C’était le 12 avril dernier, lors d’un petit déjeuner organisé par l’AJEF, l’Association des journalistes économiques et financiers, sur le thème de « l’innovation et les PME au cœur des stratégies d’avenir ». Le chercheur était confronté à Philippe Berna, président du comité Richelieu, association de PME et ETI (entreprises de taille intermédiaire) innovantes et également fondateur de Kayentis, jeune entreprise innovante spécialisée dans la dématérialisation de l’écriture manuscrite.

Petite entreprise ne devient pas grande

Perte de parts de marché à l’export, balance des paiements…. tous les indicateurs pris par l’économiste vont dans la même direction. « Lorsqu’on parle de désindustrialisation, le bilan est avéré », estime Elie Cohen. Pour l’économiste, « on assiste à une dualisation. Nos très grandes entreprises ont largement prospéré », comme le montrent les exemples des performances de Schneider ou de Saint Gobain. A contrario, « le constat sur la difficulté spécifiquement française à faire croître les petites entreprises est parfaitement établi ».

Taux de création d’entreprise, taux de survie à cinq ans… ces données sont comparables aux performances des autres économies. C’est après que le bât blesse : ces entreprises ne se développent plus, ne passent pas le cap de l’ETI (plus de 250 salariés). Au mieux, elles sont rachetées. Pour Elie Cohen, le problème est lié à l’investissement. En France, plus une entreprise est petite, moins elle investit, alors que cette corrélation ne se vérifie pas en Allemagne. En France, « plus la taille diminue, moins l’entreprise a de capacités d’innovation, d’exportation, d’intégration des technologies de l’information », ajoute l’économiste. Les données financières des petites entreprises ne sont pas bonnes non plus : excédent brut d’exploitation qui se dégrade, structure financière faible… En cause notamment , d’après Elie Cohen, « un alourdissement du coût du travail indirect. La taxation du cycle de production a beaucoup été alourdie. (…) Construction, transport , C3S (contribution sociale de solidarité des sociétés et contribution additionnelle), taxe dépendance, c’est une matière fiscale indolore », qui aurait pesé 29 milliards d’euros.

Incitations fiscales

Pourtant, l’Etat a déployé des politiques actives pour améliorer cette situation, estime Elie Cohen. Tout d’abord, une « fiscalité incitative », avec deux mesures phares, la réforme de la taxe professionnelle et le crédit d’impôt recherche. D’après l’économiste, le premier dispositif répondait à l’idée de « soulager l’industrie à charge constante puisque la diminution de 6 milliards d’euros a été reportée sur les entreprises de service ». Quant au crédit d’impôt recherche, « les modalités de calcul choisies ont favorisé le maintien de grandes unités de recherche sur le territoire et prévenu leur délocalisation », estime Elie Cohen pour qui « Thales et Aventis ne seraient pas restés en France, s’il n’y avait pas eu ces mesures ».
Autre axe suivi par le gouvernement, le programme des investissements d’avenir, pour revenir à une tradition d’Etat « grand investisseur ». Par ailleurs, « il y a une bonne performance globale dans la recherche en terme d’imput : brevets, publications… c’est assez bon. Mais, dans l’output, dans la transformation de la recherche en innovation, en entreprise, en emplois créés, c’est la catastrophe », constate Elie Cohen. D’où la tentative du gouvernement « d’accélérer ce transfert, de favoriser la création d’un écosystème de l’innovation ». C’est le cas, par exemple, des pôles de compétitivité déployés sur le territoire. Autres axes suivis : favoriser l’accès aux marchés publics des PME et promouvoir l’articulation entre les petites et les grandes entreprises.

Au milieu du gué ?

« Aujourd’hui, nous sommes dans une phase intermédiaire. La grande entreprise a perdu de son rayonnement auprès de la classe politique et de la population (… ) Les PME innovantes sont en train de prendre leur place dans l’imaginaire collectif. Mais les structures administratives, de formation ( ;..) ne sont pas adaptées au monde des PME. Le système administratif est calé pour favoriser les grandes entreprises », estime Elie Cohen, par ailleurs préoccupé par « le risque de croire aux solutions de repli, de protection », qui transparaissent dans la campagne présidentielle.
Le point de vue de l’économiste est assez largement conforté par les positions du professionnel. Philippe Berna, en effet, explique vouloir surtout bénéficier de « dispositifs stables, compréhensibles, qui s’inscrivent dans une durée cohérente, qui est celle d’un projet ». Illustration de ce chef d’entreprise, le statut de la jeune entreprise innovante, qui prévoit des mesures fiscales favorables durant la phase d’incubation. « Ce statut portait sur huit années. Moins de cinq ans après , il avait déjà été modifié. Pour l’entreprise qui doit gérer un business plan (…) le plan de développement change radicalement. Le projet prend des années de retard, alors que la clé du problème est l’accélération », analyse l’entrepreneur. A ce titre, il propose la fusion de deux statuts, celui de « gazelle », destiné aux PME en forte croissance, et de « jeune entreprise innovante ». Autre proposition, « une médiation de l’innovation », chargée de défendre les intérêts du statut d’entreprises innovantes, notamment en faisant la promotion de ces entreprises dans les marchés publics. « C’est très difficile pour les PME d’accéder à ces marchés », note le professionnel, pour qui une référence auprès d’une collectivité locale est une première étape qui permet d’élargir progressivement sa clientèle. La campagne présidentielle est encore en cours, il est toujours temps d’exprimer ses vœux.

De plus en plus de faillites de grosses PME

16 206 redressements judiciaires d’entreprises, liquidations et sauvegardes ont été enregistrés au premier trimestre 2012, selon Altares, cabinet spécialisé dans l’information sur les entreprises. Globalement le chiffre reste quasi-stable, par rapport à la même période de l’an dernier (+0,3%), mais bien supérieur à celui d’avant la crise. Par ailleurs, si plus de 9 entreprises sur 10 qui sont concernées comportent moins de 10 salariés, les défaillances des grosses PME (+ de 50 salariés) ont nettement progressé : +27% sur un an, avec 123 cas ce trimestre. Ce ne serait pas tant un problème de carnet de commandes que de trésorerie.

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