Morale et turqueries

Morale et turqueries

Le niveau du débat politique ne cesse de s’élever partout dans le monde. Au point de tutoyer des sommets ordinairement hors d’atteinte des ambitions du pékin. Voyez la Turquie, par exemple, bientôt engagée dans une campagne présidentielle. Le n°2 du gouvernement en place, Bulent Arinç, a récemment défini le profil idéal de la citoyenne turque : « Une femme doit conserver une droiture morale, elle ne doit pas rire fort en public », a-t-il déclaré avec la componction qui sied à son rang. On ne voit pas vraiment le rapport entre le rire et la droiture morale, pas plus qu’Aristote, probablement, à moins que ce dernier n’ait réellement exploré le sujet dans le livre II de sa Poétique, celui que Guillaume de Baskerville finit par découvrir dans la romanesque abbaye du Nom de la Rose – sans avoir le temps de le lire et de nous le commenter, hélas pour nous. En tout cas, sans vouloir offenser la morale, ni Umberto Eco, on ne peut que partager l’avis un peu constipé de Bulent Arinç en matière de convenances sociales : rire fort en public n’est pas particulièrement distingué, ni pour les hommes, ni pour les femmes, ni pour les mouettes. Que ce soit en Turquie ou ailleurs. Qui n’a pas redouté un jour que son épouse, sa fille, sa bru, sa belle-mère ou sa gouvernante ne pouffassent incongrument et se tordissent de rire publiquement ? Vous voyez bien que vous aussi, vous avez frémi.

On aurait pu croire que les Lettres philosophiques de Voltaire avaient définitivement terrassé les préjugés relevant des usages culturels. Et qu’il était vain, en conséquence, de s’émouvoir de la distance considérable qui sépare les bonnes manières d’un pays avec celles d’un autre. Et tout aussi vain de ricaner du ridicule que peut revêtir la norme de certains usages bien établis. Il suffit pour s’en convaincre de feuilleter l’ouvrage qui rendit célèbre Blanche Soyer sous l’identité fictive de la Baronne Staffe : un recueil des bonnes manières reconnues à la fin du XIXème siècle et un incontestable succès éditorial. C’est là que votre arrière-grand-mère a découvert, en rougissant, les règles élémentaires de la vie sociale bourgeoise. Par exemple : "Il ne faudrait pas s’imaginer qu’on ne puisse aller au bal qu’avec les épaules nues, ni qu’il soit distingué de se découvrir excessivement la poitrine". Avis aux péronnelles effrontées. Quant aux bijoux, Juste Ciel, il faudrait un ouvrage complet pour en narrer le langage complexe, et la censure ne le laisserait probablement pas traduire en turc. En tout cas, une chose est certaine : «  On ne porte pas de diamants aux oreilles le matin avec un costume tailleur » - ne l’oubliez jamais, mesdames : il n’y a pas pire manquement à l’étiquette. Sauf peut-être cancaner et s’esclaffer en public. Mais quelle dame bien éduquée se laisserait aller à de telles privautés ?

La recette du jour

Les canons de la Baronne

Vous êtes, Madame, d’un naturel enjoué et rieur, voire un tantinet exubérant. Evitez d’épouser un mamamouchi, afin de prévenir tout dommage collatéral à votre droiture morale. En cas de crise d’espièglerie aigüe, brandissez publiquement une sourate de la Baronne Staffe comme une gousse d’ail : vous n’en tirerez aucun bienfait, mais ça calmera les dévots.

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