PIB et AOC

PIB et AOC

En ces temps compliqués où chacun commence à comprendre que le PIB est un indicateur imparfait, voire ésotérique, de la prospérité des nations, il est temps de mesurer le bien-être d’une société à l’aide de marqueurs plus pertinents. On suggère en conséquence d’utiliser des statistiques qui nous paraissent plus appropriées : celles de la consommation de vin. En termes quantitatifs, d’abord : un niveau élevé de picole collective témoigne rarement d’un sentiment de plénitude au sein des populations. Voyez par exemple les Russes : ils se caramélisaient honteusement sous les tsars. Et tout autant sous les soviets, notez-le bien, mais avec des alcools plus prolétaires (c’est-à-dire franchement dégueulasses). On les comprend aisément : la vie n’était pas rose dans l’un ni l’autre cas. Mais ils continuent aujourd’hui à s’arsouiller avec méthode, bien que convertis à l’excellence des canons démocratiques occidentaux, si l’on ose dire. Un effet du caractère dépressif congénital dont serait entachée l’âme slave ? C’est ce que prétendent les psychanalystes, obsédés par la sexualité de leurs patients et insoucieux de leurs contraintes économiques. Mais pour être affligé d’hystérie strauss-kahnienne ou de névrose tronienne, il faut échapper à la pollution des fins de mois difficiles.

Et les Français ? Et bien figurez-vous qu’ils boivent de plus en plus de vin rosé. Un breuvage souvent approximatif, qu’il vaut mieux consommer glacé pour ne pas tordre le nez. Mais ce sont des vins qui évoquent le Midi, le soleil, les vacances, la convivialité, l’insouciance. Et qui présentent ordinairement l’avantage de ne pas coûter trop cher. Il en résulte ce constat que les ethnologues ne démentiront pas : les Français vivent mal dans leur travail et soignent leur spleen avec un vin de congés payés. Le seul qu’ils puissent encore s’offrir. Tel n’est pas le cas en Asie, où s’envolent désormais presque tous nos crus prestigieux. En témoignent ces enchères récentes à Hongkong, où deux caisses de La Romanée Conti sont parties à 106 359 USD chacune. Et le Bordelais n’a pas été négligé, avec une caisse de Château Lafleur 1982, un pomerol distingué, il est vrai, au prix de 56 308 USD. Que peut-on dire d’une société qui tétine du vin à 2 000 euros le verre ? Qu’elle est heureuse ? On n’en sait rien. Mais qu’elle soit plus riche que la nôtre, ce n’est pas douteux.

La recette du jour

Vins de carême

Vous avez siphonné la plupart des grands crus de votre cave, et vendu le solde aux Chinois pour vous encanailler en petits vins de pays. Avant que le rosé ne devienne inaccessible, laisser prospérer ronces et broussailles autour du potager : vous pourrez fabriquer du vin de mûres et de sureau. Sinon, devenez sommelier en Asie : vous pourrez biberonner des grands crus au petit-déjeuner.

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