Sommes-nous tous givrés

Sommes-nous tous givrés ?

Avez-vous entendu parler du DSM-5 ? Mais non, ce n’est pas la dernière limousine d’une quelconque firme automobile. Il s’agit de la version réactualisée du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, la bible de l’industrie mondiale de la psychiatrie. C’est l’Association américaine de la corporation qui publie cet ouvrage de référence. Il est normal que les States aient le leadership en la matière : le pays compte presque autant de psychothérapeutes que d’avocats. Ainsi, en vertu des préceptes de l’économie de l’offre, il faut que tout Américain soit un peu givré ou délinquant, voire les deux à la fois. Le chiffre d’affaires cumulé des juristes et des analystes yankees doit excéder le PIB de pas mal d’Etats, et le business des neuroleptiques et des antidépresseurs pèse à lui seul 27 milliards de dollars. Il importe donc que la nomenclature des désordres mentaux ratisse suffisamment large, pour que le pékin relève en permanence des bons soins du psychiatre et du pharmacien. Les affaires sont les affaires, coco.

Cette obsession du diagnostic psychiatrique soulève pas mal de critiques, même au sein des milieux professionnels américains. Selon la dernière mouture du Manuel, le gamin qui pique plus de trois colères par semaine est bon pour la camisole chimique ; quiconque oublie régulièrement d’acheter le pain avant de rentrer du boulot mérite une psychanalyse ; ne pas avoir achevé le deuil d’un proche deux mois après l’événement rend passible d’internement. L’individu « normal » est un poisson froid aux émotions homéopathiques et à la rationalité imperturbable : les psys ont finalement réussi à établir le portrait-robot médical de l’homo œconomicus, ce modèle idéal que vous enverriez derechef à l’asile s’il croisait votre chemin. De ce fait, selon les nouvelles normes, rares sont les individus qui ne sont pas perturbés du yaourt. C’est au même diagnostic que parvint en son temps Erasme, père putatif de la psychiatrie moderne qui transcrivit ses observations argumentées dans L’Eloge de la folie. Mais finalement, les spécialistes de la normalité ont peut-être raison : nous sommes tous plus ou moins zinzins. Ce qui conduit, dans l’article précité, un commentateur autorisé à poser cette question existentielle : « Est-ce le fonctionnement de notre société qui est inadéquat ? Doit-on revoir notre mode de vie pour viser des existences moins pathogènes et plus épanouissantes ? » Bien vu. Selon quoi, faute de nécessairement apporter des réponses pertinentes à leurs patients, les élucubrations des psychiatres permettent de se poser de bonnes questions.

La recette du jour

Fiscalité et psychanalyse

Vous avez encore oublié de payer votre tiers provisionnel dans les délais. Ce n’est pas l’effet du hasard, bien entendu, mais une facétie de votre subconscient. Ne courrez pas pour autant chez le psychanalyste : votre pathologie est totalement bénigne. Ce qui serait gravement anormal, c’est de payer vos impôts à l’avance et avec plaisir.

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