Fichés S : la polémique

Fichés S : la polémique politique se heurte à la réalité du droit

Comme après les attentats de Paris ou de Nice, une partie de la classe politique réclame des mesures concrètes contre les individus signalés. Pas si simple...

Les politiques s’en mêlent

Sitôt après Strasbourg, Laurent Wauquiez, président des Républicains (LR),a réclamé que notre droit soit adapté à la menace terroriste : "Qu’attendons-nous pour enfin livrer bataille et éradiquer l’intégrisme qui nous a déclaré la guerre ?" s’est-il interrogé à la radio. Même point de vue pour Nicolas Dupont-Aignan (Debout la France), tandis que Valérie Pécresse (LR) réclame l’expulsion des "fichés S radicalisés étrangers parce qu’ils sont dangereux".
Revendications identiques du côté du Rassemblement National.
À Nice, Christian Estrosi a demandé au préfet et au procureur de la République de lui fournir la liste des fichés S. Il propose d’activer une surveillance visuelle basée sur un logiciel de reconnaissance faciale.

20 000 individus concernés

La présidente de la commission des lois de l’Assemblée, Yaël Braun-Pivet (LREM), rappelle que la fiche S mêle "toute une série d’individus", citant en plus des radicalisés les black-blocs, les hooligans, les gens d’extrême-droite ou d’extrême gauche violents, les zadistes... Il y aurait selon elle 20 000 personnes fichées S "qui n’ont finalement comme point commun que d’avoir été repérées comme pouvant porter atteinte à la sûreté de l’État".

50% seraient "radicalisés"

Il y a en France le Fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes (FIJAIT), regroupant les condamnés, et le Fichier de signalements pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT).
La fiche S repose sur des suspicions de radicalisation d’individus à la suite du travail de renseignements ou d’observations (dans le milieu carcéral notamment) davantage que sur des preuves.
En l’absence de transparence, les observateurs estiment que la moitié des fichés S serait des islamistes, donc environ 10 000 individus sur le territoire national.

Suspicion, pas culpabilité

Suspicion ne veut pas dire culpabilité. Être "seulement" fiché S n’entraîne donc aucune poursuite judiciaire.
Les autorités judiciaires et administratives, les forces de police et de gendarmerie, les douanes peuvent consulter le Fichier des Personnes Recherchées (FPR).

Déchéance

Si l’expulsion d’un étranger est possible, en revanche celle d’un binational ne l’est pas car par définition il est aussi... français. Quant à la déchéance
de nationalité, mesure contestée proposée à l’époque par François Hollande, elle a finalement été retoquée.

Les limites

En décembre 2015, le Conseil d’État a indiqué dans un avis que la rétention administrative des fichés S réclamée par plusieurs politiques de premier rang est contraire à la Constitution et aux engagements internationaux de la France.
Interpeller préventivement et retenir des personnes sur la base de soupçons est donc illégal. Les fiches S n’ont pas de valeur juridique. Elles classent sur plusieurs niveaux les risques potentiels. Les forces de police s’adaptent à ce classement, de la surveillance "ordinaire" à l’interpellation lorsque des éléments permettent de penser qu’il y a un risque de passage à l’acte.

Prévention

Christophe Castaner a signé une circulaire avant même l’attentat de Strasbourg pour renforcer le dialogue "entre l’État et les maires dans le domaine de la prévention de la radicalisation violente". Ce texte entrouvre la porte aux demandes du maire de Nice sur la communication des identités
des fichés S, mais ne comprend pas une délégation de la reconnaissance faciale. Cette dernière est une technique au point et déjà en service à l’aéroport de la Côte d’Azur.

Photo de Une (illustration DR)

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