Bellet : un petit vignobl

Bellet : un petit vignoble pour un grand vin

Nul n’est prophète en son pays. Les vignerons de Bellet peuvent ruminer l’adage. "Nous sommes un peu boudés par les Niçois", regrette Joseph Sergi, qui préside l’appellation d’origine protégée depuis 2007. "Ils trouvent souvent que notre vin est trop cher".

D’un domaine à l’autre, en fonction des cuvées et des couleurs, les prix varient entre 15 et 30 euros la bouteille. Des chiffres qui, certes, ne destinent pas le breuvage azuréen à toutes les bourses, mais qui ne sont pas non plus le fruit d’une politique tarifaire délibérément élitiste. Pour le comprendre, il faut mieux connaître le vignoble, autant ses charmes que les contraintes qui pèsent sur lui.

Des vins du Sud mais pas sudistes

Bellet : tout juste 60 hectares, avec du blanc et du rouge ! DR J.P

Bellet, c’est une affaire d’adjectifs et de dimensions. Grand et petit, ces deux mots résument à eux seuls l’identité et la problématique de l’appellation. Disons-le sans ambages, le cru produit de grands vins. Et n’en déplaise à ses détracteurs, qui arguent souvent - et à juste titre - que le prix ne fait pas la qualité, le qualificatif s’impose au regard de la singularité du nectar niçois. Joseph Sergi le résume ainsi : "Nos vins ne ressemblent à aucun autre. Nos rouges sont des vins du Sud qui se distinguent par une grande fraîcheur", comprendre une pointe d’acidité qui confère au liquide ce relief qui flatte les papilles à la dégustation. Rien que par cette originalité, synonyme de contribution à la diversité viticole française, Bellet a sa place parmi les grands terroirs. D’autant que son sol de galets roulés et son climat lui garantissent une vraie typicité : "Elle se manifeste par exemple dans nos blancs, qui sont issus du cépage rolle. C’est le vermentino que l’on retrouve en Corse et même dans le Var ou le Languedoc aujourd’hui, mais le nôtre a un goût propre". Le rosé également est une curiosité. Elle est due au braquet, un raisin quasiment absent ailleurs dans le pays, qui constitue la totalité de l’encépagement. "Il n’a rien à voir avec un rosé des Côtes-de-Provence".

Seulement 60 hectares de vignes

Ce particularisme plaît en France et à l’étranger. La majeure partie de la production (80%) est écoulée sur le marché hexagonal, auprès de connaisseurs. Les 20% restants sont exportés le plus souvent vers la Suisse, le Luxembourg et l’Allemagne, mais aussi les Etats-Unis et le Japon, où le Bellet a ses fidèles. Ce succès commercial, couplé aux faibles volumes qui sortent des chais, participe bien sûr au positionnement tarifaire. Avec seulement 160 à 200 000 cols au gré des millésimes, les vins niçois ne peuvent pas, à l’exception de quelques enseignes locales, courir les rayons de la grande distribution.
Logique eu égard à la surface du vignoble : tout juste 60 hectares. "C’est la taille d’un joli domaine en Provence", sourit le président des vignerons de Bellet, qui ne sont que huit à la tête de neuf propriétés. Les trois plus vastes, le Clos Saint-Vincent (l’exploitation de Joseph Sergi) et les Châteaux de Bellet et de Crémat, ne totalisent chacun qu’une dizaine d’hectares. Le plus modeste, le domaine de Vinceline, en a dix fois moins.
Alors oui, Bellet est bien un petit vignoble. Un terroir quasi invisible sur la carte des régions viticoles françaises. Une sorte d’anecdote périurbaine. Et c’est ce qui conditionne aussi le prix de ses flacons. "L’aire d’appellation a beau s’étendre sur 600 hectares, les producteurs ont du mal à s’agrandir, car le foncier est très cher. Bien que localisés en zone agricole, les terrains s’échangent entre 15 et 20 euros/m2".

Une extension freinée par le prix du foncier

Gardant l’espoir que leurs parcelles deviendront un jour constructibles, de nombreux propriétaires sont réticents à vendre aux viticulteurs. Ce qui freine l’extension de l’appellation, où à peine 1 à 2 hectares de vignes sont plantés chaque année. "L’achat d’un hectare revient à 200 000 euros. ça fait beaucoup pour de la pinède, d’autant qu’il faut ensuite prévoir le défrichement, l’aménagement du site et la plantation", regrette Joseph Sergi. "Pour un hectare de vignes, il faut compter 300 000 euros", un montant qui, sans atteindre celui des crus les plus prestigieux de la Champagne, de la Bourgogne ou du Bordelais (plus de 2 millions d’euros l’hectare à Pauillac par exemple), est nettement plus élevé que dans les autres vignobles du bassin méditerranéen. A titre de comparaison, le prix moyen d’un hectare de terroir en AOP dans le Var ne se situe qu’autour de 60 000 euros.

A la pénurie de foncier s’ajoute l’écueil topographique. Pentes raides, restanques étroites, parcelles morcelées..., les collines niçoises génèrent inévitablement une hausse des coûts de culture. Produire du Bellet oblige les vignerons à d’incessants efforts. En tout genre.
Aux consommateurs de consentir aux leurs...

Divin 2020 ?

2020, annus horribilis... Ce sera le cas pour beaucoup. Mais à Bellet, l’année laissera un autre souvenir, puisque la nature a été clémente avec les viticulteurs. Après un printemps arrosé, qui a permis un bon développement de la vigne, la pluie a manqué durant l’été. Conséquences, une réduction des volumes et une belle concentration des raisins.
"Les conditions ont été idéales pour produire un grand millésime", s’enthousiasme Joseph Sergi, en relevant "une belle maturité, mais sans excès". D’un domaine à l’autre, les vendanges se sont échelonnées entre le 5 et le 25 septembre. Les dates d’une récolte précoce, comme dans les autres vignobles de France. Elle tend à devenir une règle : "En 25 ans, nous avons gagné un mois sur le calendrier".

Photo de Une : A Bellet, le blanc domine la production (45%), devant le rouge (38%) et le rosé (17%). DR J.P

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