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COLLECTIVITÉS - Les nouveaux territoires, mais pour qui ?

Nouveaux territoires, nouvelle frontière sont des termes qui vont bien dans le vocabulaire courant et politique, mais qui s’adaptent aussi à l’évolution des collectivités locales.

Par Maître François Wagner - Avocat au Barreau de Nice Professeur à l’Université de Nice Sophia Antipolis - Agrégé des Facultés de Droit.

D’ailleurs, il n’est pas inintéressant de remarquer que la Constitution de la Vème République évoque les collectivités "territoriales", comme si … l’État n’en était pas une, alors même que le territoire est sans doute sa composante essentielle.

Aujourd’hui, le pouvoir local se trouve confronté à trois défis qui sont ceux de la concentration, de la précaution et de la convention.

La concentration tout d’abord.


La loi du 2 mars 1982 avait laissé croire qu’au niveau local la lumière avait succédé aux ténèbres ; il semble que la flamme de la bougie soit moins forte aujourd’hui.
Déjà, d’interminables ordres et contre-ordres dignes de la Commedia del Arte ont concerné la clause de compétence générale et de décembre 2010 à août 2015, les lois l’ont supprimée, rétablie et supprimée de nouveau. Depuis la loi NOTRe, la clause générale de compétence concerne donc uniquement les communes. Le conseil municipal règle par ses délibérations les affaires de la commune (Article L2121-29 CGCT), alors que le département et la région n’ont que des compétences d’attribution.
Mais cela semble du passé.
Tous les acteurs politiques et administratifs reconnaissent les difficultés posées par les nouvelles appréhensions des territoires, que ce soit en matière d’aménagement avec l’exemple de la DTA des Alpes-Maritimes et plus largement dans le domaine de l’administration territoriale avec, ainsi, l’émergence d’un véritable territoire métropolitain.

N’est-il pas paradoxal, bien que juridiquement normal, que ce soit la Métropole NCA qui défende la légalité du PLU de Roquebillière contre … l’État
représenté par le Préfet (TA Nice, 2ème chambre, 26 janvier 2017, Métropole Nice Côte d’Azur, n° 1400268, dont appel) ; n’est-il pas étrange, bien que conforme au droit, que la Métropole élabore un PLU métropolitain qui recouvre tout son territoire et celui des communes membres … alors qu’elle n’est même pas une collectivité territoriale, mais un simple EPCI.
N’est-il pas anormal que le Département ne soit plus une collectivité territoriale de plein exercice, réduit à jouer le rôle de supplétif de l’État au niveau de l’aide sociale et promis à une quasi disparition à l’horizon 2020, à moins que l’on ne se contente de sa fusion avec les métropoles ? On se retrouve donc dans des mécanismes incohérents, très mal perçus par les administrés, où la concentration des pouvoirs s’opère sur des bases techniques, alors même que parfois et s’agissant surtout des exemples métropolitains, la légitimité des territoires peut être remise en question.

La précaution ensuite.


L’inscription de la charte de l’Environnement dans l’ordre constitutionnel a profondément bouleversé le périmètre du droit en faisant entrer la dimension environnementale dans la pratique usuelle des juridictions.

À Nice, alors que l’État poursuit son effort pour éviter que des produits ne puissent induire de confusion sur leur provenance en faisant croire qu’ils sont issus de l’agriculture biologique (TA Nice 14 novembre 2017, Société I., n° 1501826, dont appel), c’est par exemple une société sophipolitaine qui doit défendre l’autorisation de mise sur le marché de son produit prise par le directeur de l’agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES), car potentiellement dangereux pour les abeilles.
Mais ce principe de précaution s’applique aussi pleinement à l’égard des collectivité locales. En matière d’aménagement du territoire par exemple, quand on voit que l’aménagement de la RD 6107 relatif à la déviation de Vallauris-Golfe-Juan sur le territoire des communes d’Antibes-Juan-les-Pins et de Vallauris-Golfe-Juan a été énergiquement contesté devant le juge. Il a pourtant estimé qu’eu égard aux précautions et mesures compensatoires prévues pour limiter les effets négatifs du projet, les inconvénients subis notamment en termes de nuisances sonores et de pollution ne sauraient être regardés comme excessifs et de nature à retirer au projet son caractère d’intérêt général (CAA Marseille N° 14MA01232).
C’est aussi à titre d’exemple le rejet de la demande de l’association ACME - Pays des Paillons, l’Association Paillons Environnement et l’Association Paillon Vert, qui visait à annuler l’autorisation préfectorale de poursuite de l’exploitation de l’usine de Ciments Lafarge (CAA Marseille N° 12MA03179).
Par contre, le 22 juin 2017, le Tribunal administratif de Nice n’a pas hésité à annuler le projet stratégique et opérationnel établi sur la plaine du Var par Eco-Vallée Plaine du Var (Etablissement public) à la demande du collectif associatif 06 pour des réalisations écologiques (CAPRE 06) en raison de la présence d’un site Natura 2000 sur la plaine du Var, alors même que le projet recouvre entre autres le Grand Arénas (le nouveau quartier d’affaires international), Nice Méridia et la Baronne-Lingostière, parties des communes de Saint-Jeannet et Gattières etc. (N° 1503595).

On peut enfin en voir un exemple dans le contentieux répétitif des antennes-relais, alors même que le Conseil d’État a dénié aux maires toute compétence réglementaire en estimant qu’un maire ne saurait donc réglementer par arrêté l’implantation des antennes relais sur le territoire de sa commune, sur le fondement de son pouvoir de police générale CE, Assemblée, 26 octobre 2011, Commune de Saint-Denis (n°326492), Commune de Pennes-
Mirabeau (n°329904) et SFR (n°s 341767 – 341768). Alors même que la loi Abeille du 9 février 2015 réglemente ce que l’on a appelé la "sobriété de l’exposition du public" aux ondes électromagnétiques le maire voit son pouvoir réduit au recueil (non-obligatoire) des observations du public et à la demande d’"une simulation de l’exposition aux champs électromagnétiques générés par l’installation concernée".

D’ailleurs, comme à Antibes, le juge rejette assez facilement les requêtes des copropriétés, en l’absence d’éléments circonstanciés faisant apparaître, en l’état des connaissances scientifiques, des risques, même incertains, de nature à justifier une opposition à la déclaration en litige (CAA Marseille 9 juin 2016 N° 14MA02207). Donc la prise en compte de la dimension environnementale et du principe de précaution, s’ils s’analysent comme une restriction supplémentaire au pouvoir d’administration, ne correspondent pas plus à un accroissement des pouvoirs locaux.

Enfin, la convention.


Convention, convenance sont devenus inséparables du concept de bonne gouvernance, autant de termes obscurs caractéristiques du "droit mou". On demande donc aux administrations, entre autres locales, d’agir de façon "convenable". Or, qui dit compétence, dit périmètre, champ de compétence et finalement territoire également. De longue date l’administration voit ses formes d’action modifiées voire bouleversées. C’est la reconnaissance du "droit souple" au niveau national et au niveau local.
Déjà, on savait que les comportements "malhonnêtes" de l’administration comme les promesses non tenues, engagent sa responsabilité ; de surcroit le juge étend son contrôle sur des actes dont on pouvait penser qu’ils n’avaient pas d’effet juridique par eux-mêmes se présentant comme de simples documents d’orientation ou de programmation ; pourtant dans l’affaire précitée de la plaine du Var c’est le contraire qui a été jugé. Dans un domaine aussi sensible que celui de la police, qui sait aujourd’hui fixer imparablement les règles qui s’imposeraient en matière de contrôle des baignades au burkini ou d’installation de crèches ou éléments religieux dans des bâtiments ou l’espace public ? Le droit souple ou "mou" tend donc à s’accroître au bon vouloir du juge. Et c’est finalement lui qui s’impose
majoritairement.
Il n’est pas du tout certain que nos collectivités soient armées pour faire face à cette situation.

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