L'arbitrage du Bâtonnier

L’arbitrage du Bâtonnier exigera-t-il une phase préalable de conciliation ?

L’arbitrage a le vent en poupe ; mais se pourrait-il qu’il soit actuellement débordé par la conciliation dans l’esprit de certains magistrats ? C’est la question que suggère l’arrêt ici rapporté.

Par Dominique Vidal, Professeur émérite, CREDECO GREDEG UMR 7321 CNRS/UNS


Dans cet arrêt, la cour de Nîmes décide que la procédure de "l’arbitrage du Bâtonnier" doit nécessairement commencer par une phase préalable de conciliation, qu’à défaut, il y a fin de non recevoir, et que cette fin de non recevoir n’est pas éligible à un quelconque procédé de régularisation.

En application de l’article 7 de la loi du 31 décembre 1971 qui dispose que les litiges nés (…) à l’occasion d’un contrat de collaboration libérale sont, en l’absence de conciliation, soumis à l’arbitrage du bâtonnier, l’article 142 du décret du 27 novembre 1991 précise que pour tout litige né à l’occasion d’un contrat de collaboration (…), à défaut de conciliation, le bâtonnier du barreau auprès duquel l’avocat collaborateur ou salarié est inscrit est saisi par l’une ou l’autre des parties, soit par requête déposée contre récépissé au secrétariat de l’ordre des avocats, soit par lettre recommandée avec demande d’avis de réception.

Double interprétation possible

Chacun de ces deux textes comporte la proposition "à défaut deconciliation". Comment doit-on la comprendre ? On peut concevoir deux interprétations : la première n’implique pas une procédure de conciliation, la seconde implique le déroulement d’une telle procédure.

D’un premier point de vue, en effet, on peut concevoir que l’expression "à défaut de conciliation" signifie seulement que c’est en cas de persistance du litige que l’une des parties sollicite un arbitrage du bâtonnier. On peut estimer que cette expression a pour finalité, dans le cadre d’un litige dont l’existence est avérée, de rappeler les avocats à leurs devoirs de confraternité en essayant, autant que faire se peut, de se concilier.
Au demeurant, la pratique des barreaux enseigne que sauf exception très particulière, non seulement les avocats en litige ne manquent pas de voir s’ils peuvent identifier un cheminement amiable, ce qu’ils savent faire (c’est leur métier !) ; elle enseigne de surcroît que lorsqu’un tel litige vient sur le bureau du bâtonnier, ce dernier commence immanquablement par envisager le même cheminement. Toutes ces préoccupations, interrogations, propositions ou démarches à finalité amiable sont le plus souvent tout à fait informelles, couvertes en outre par un secret professionnel évident. En substance elles constituent une tentative de conciliation. Mais en la forme, elles ne manifestent pas les étapes d’une "procédure de conciliation".
En outre, n’oublions pas le contexte. Cet article 7 de la loi du 31 décembre 1971 et cet article 142 du décret du 27 novembre 1991 figurent au sein de textes fondateurs de l’organisation actuelle de la profession d’avocat. Il est bon de donner à la loi le sens qui convient à la matière à laquelle elle est destinée.

Dernier argument en faveur de cette analyse, la Cour de cassation a décidé (Cass. com., 29 avr. 2014, n° 12-27.004, F P+B : JurisData n° 2014-008854 ; JCP E 2014, 1290, obs. N. Dissaux ; JCP G 2014, II, 607, obs. H. Croze ; JCP G 2014, II, 711, obs. O. Sabard) que la clause contractuelle prévoyant une tentative de règlement amiable non assortie de conditions particulières de mise en œuvre, ne constitue pas une procédure de conciliation obligatoire préalable à la saisine du juge, dont le non-respect caractérise une fin de non-recevoir s’imposant à celui-ci. Rendue en matière contractuelle, la solution ne vaut certes que par analogie dans le domaine de l’arbitrage institutionnel du bâtonnier. Mais on ne voit pas quelle considération rationnelle pourrait conduire à écarter cette solution.

C’est pourtant une autre lecture du texte à laquelle procède la cour de Nîmes dans la décision rapportée. La cour fait de la mention "à défaut de conciliation" une condition formelle préalable à l’arbitrage du bâtonnier, la condition qu’une procédure de conciliation se soit formellement déroulée et bien entendu, que le demandeur soit en mesure d’en apporter la preuve.

Conséquences pratiques

Le motif de la décision est parfaitement clair : "ces dispositions statutaires applicables à la profession d’avocat imposent une procédure de conciliation obligatoire préalable à l’engagement d’une action afin (sic) d’arbitrage auprès du bâtonnier. Il s’agit bien là d’une obligation dont la méconnaissance constitue une cause d’irrecevabilité de la saisine du bâtonnier d’une demande d’arbitrage".

Dont acte. Il n’en demeure pas moins, à notre avis, que cette solution n’est pas la meilleure, outre les raisons exposées plus haut en faveur de l’éventuelle solution contraire.
Quelles sont en effet les conséquences pratiques de la solution adoptée ? - Dans l‘immédiat, le demandeur va devoir recommencer sa procédure, en la faisant précéder d’une procédure de conciliation. Eu égard au contexte c’est quelque peu "téléphoné", inutilement chronophage pour ne pas dire avec un soupçon de ridicule. Bien plus, c’est l’esprit même et la raison d’être de la conciliation en général qui est ici détourné si ce n’est violé : la conciliation en général a pour finalité d’ajouter de la simplicité au règlement des litiges. Ici, on ajoute de la complexité.
- De surcroît, lorsque dans un litige interviennent successivement une procédure de conciliation et, en cas d’échec de cette dernière, une procédure d’arbitrage, il est de la plus haute importance que le conciliateur ne soit pas ensuite l’arbitre ou l’un des arbitres. Il y a à cela deux excellentes raisons. La première tient au principe d’indépendance de l’arbitre, à sa fonction juridictionnelle et aux qualités processuelles que doit comporter tout arbitrage. Ces qualités ne sont pas garanties lorsque le juge, fût-il arbitral, a préalablement entendu les parties dans un contexte non juridictionnel dont la finalité est d’être favorable aux confidences ou au dévoilement des derniers intérêts.
- À moins que les parties restent rigoureusement et passivement campées sur leurs positions ; mais la procédure de conciliation perd alors définitivement tout intérêt. Intervient dès lors la seconde raison : chacune des parties serait pour le moins embarrassée d’exposer le fond de sa pensée, de faire des propositions ou d’envisager d’en accepter devant un tiers qui aurait par la suite qualité à prendre une décision qui lui fera grief.

Faudra-t-il que les ordres organisent une procédure spéciale de conciliation préalable à l’arbitrage du bâtonnier dans le but de mettre en place un processus de désignation du conciliateur qui ne soit pas le bâtonnier ou son délégué en charge de l’arbitrage ?
Si la jurisprudence ici rapportée devait se confirmer, cette question se poserait assurément.

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