L'arbitre est bien un (...)

L’arbitre est bien un juge (Cass. civ.2, 11 janvier 2018)

En prononçant l’irrecevabilité de la tierce opposition d’un arbitre contre un arrêt qui statue sur le recours en révision formé à l’encontre de sentences qu’il a rendues, la Cour de cassation exprime en substance ce que les spécialistes de l’arbitrage ne cessent de dire : l’arbitre est un juge, ce qui explique notamment les conséquences qu’en tire la jurisprudence récente en termes d’indépendance et d’impartialité.

Par Dominique VIDAL, Professeur émérite, Arbitre, Credeco - Gredeg UMR 7321 CNRS/UNS

Voici une nouvelle étape dans cet arbitrage entre "le groupe Tapie" et le "Crédit Lyonnais", une affaire qui a tellement défrayé la chronique qu’il n’est pas utile de rappeler les circonstances initiales du différend. En dernier lieu l’un des arbitres du tribunal arbitral qui, par des sentences rendues en 2008, alloue certaines sommes au groupe Tapie, forme une tierce opposition contre l’arrêt par lequel, le 17 février 2015 ( [1]) , la cour de Paris reçoit un recours en révision, identifie un concert frauduleux et rétracte lesdites sentences.
Par un arrêt du 27 septembre 2016, la cour de Paris en prononce l’irrecevabilité. L’arrêt ici rapporté est important par la solution qu’il apporte (rejet du pourvoi) et plus encore par sa motivation.

Les enjeux de la tierce opposition

Comme chacun sait, la tierce opposition permet à une personne qui n’a pas été partie à un litige de venir contester les aspects d’une décision dont elle estime qu’ils lui font grief. En l’espèce, l’arbitre estime que la rétractation des sentences lui fait grief. Il est vrai que l’arrêt du 17 février 2015 qui rétracte les sentences de 2008 est sévère à son endroit. Il lui reproche des manquements d’une gravité certes variable mais dont la conjonction dresse un tableau assez accablant sur des points importants de la procédure d’arbitrage (proximité personnelle avec une partie, faits qualifiés de "concert frauduleux" avec cette partie, attitude au cours de l’arbitrage, leadership excessif au sein du tribunal arbitral, rédaction de la sentence). Il faut dire également que cet arbitre était visé par une mesure de saisie immobilière dans le cadre d’une procédure pénale engagée contre lui par ailleurs, au visa notamment de l’arrêt de rétractation du 17 février 2015.

La tierce opposition vise "seulement" à contester ce qui fait personnellement grief. En règle générale et autant que possible, les effets de la tierce opposition, lorsqu’elle est accueillie, sont limités pour laisser en l’état la décision rendue entre les parties. Mais lorsque le maintien de la décision entre les parties est incompatible avec l’accueil de la tierce opposition celle-ci entraîne l’anéantissement de la décision entre les parties. En présence d’une telle incompatibilité, qui résulte de l’indivisibilité du contentieux, la juridiction saisie de la tierce opposition peut rendre une décision qui remet en cause la décision initiale ; ici, qui remettrait en cause la rétractation des sentences.
Les reproches faits à l’arbitre dans la décision de rétractation sont-ils liés à la ratio decidendi de la rétractation des sentences, au point d’être indivisibles ? Il était permis de l’envisager, dès lors que c’est bien la notion de concert frauduleux qui est le motif essentiel de la décision de rétractation.
L’enjeu de cette procédure était capital : devait-on permettre à un arbitre de former une telle tierce opposition ? Certes cette affaire sortait de l’ordinaire et cet arbitre était spécialement motivé. Mais fallait-il ouvrir cette voie, au risque même de voir un jour une partie reprocher à un arbitre de ne pas l’avoir fait ? Assurément, l’économie générale de l’arbitrage ne devait pas le permettre. Mais techniquement, comment fonder la solution ?

Nul ne peut être juge et partie

La Cour de cassation répond dans une motivation à portée générale qui va satisfaire le monde de l’arbitrage : "nul ne peut être juge et partie". L’arbitre exerce en effet une fonction juridictionnelle ; peu importe à cet égard que la source de sa mission soit contractuelle.
Puisque l’arbitre n’est pas une partie, il est un juge. Cette décision viendra s’ajouter à la panoplie des mécanismes juridiques par lesquels on s’accorde fort généralement à reconnaître cette qualification, que l’on ne cessera
d’approuver ( [2]).

Est-elle superflue ? Certainement pas. Si l’on considère – à juste titre – que ce serait un danger de permettre à un arbitre de former une tierce opposition à l’encontre de la décision judiciaire qui rétracte ou annule une sentence à la rédaction de laquelle il a participé, le danger était peut-être moins anodin qu’il n’y parait. Après tout, la mise en place d’un arbitrage présente une configuration générale à tonalité contractuelle, et pour en prendre une illustration concrète, un acte de mission n’est-il pas assorti de la signature des arbitres et des parties ? Cette proximité des arbitres n’en fait-elle pas des tiers suffisamment intéressés pour justifier d’une tierce opposition ? Précisément pas dès lors qu’il est un juge, quel que soit le cas échéant son intérêt à le faire. Car pour exercer une tierce opposition, il faut en effet avoir qualité à le faire. Cette condition générale de toute action en justice remplit particulièrement bien son rôle régulateur lorsqu’il s’agit de recevoir l’action d’un "tiers". À raison de sa qualité de juge, l’arbitre ne peut en aucune
circonstance avoir qualité à former une tierce opposition contre la décision judiciaire qui se prononce sur un recours exercé contre la sentence qu’il a rendue.

1- CA Paris, 17 févier 2015, Rev.Arb., 2015.861, note P.Mayer.
Le 30 juin 2016 (Rev.Arb., 2016.1207), le pourvoi contre cet arrêt est rejeté.
2- D.Vidal, « Droit français de l’arbitrage interne et international », Gualino, 2012, n°19, 143

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