Le partage du risque (…)

Le partage du risque climatique, une simple utopie ? : L’exemple de la NZIA

L’Homme ne peut se protéger de tout mais il peut atténuer les conséquences de la réalisation d’un risque. De fait, l’assureur intervient en proposant un certain nombre de garanties aux preneurs qui choisissent les couvertures qu’ils jugent appropriées en prenant en considération de nombreux éléments (1).
Parmi les risques majeurs, les impacts du changement climatique occupent une place centrale.
En outre, le secteur assurantiel constitue “un véritable levier de décarbonation de l’économie” (2). En effet, dans un monde complexe qui sort d’une crise pour en affronter une autre, la gestion des risques est cruciale (3).


Par Tess Bigouin-Thivet
Étudiante Master 2 Juriste des Risques et du Développement Durable
Membre ANEJA et AFJE06
Parution dans le cadre du cycle d’étude "Droit des assurances approfondi - L’assurance face à la décarbonation"

Net Zero Insurance Alliance

En 2021, la Net Zero Insurance Alliance (NZIA) a été créée lors du sommet du G20 à Venise consacré au climat et placé sous l’égide de l’Organisation des Nations unies. La NZIA est une coalition internationale d’assureurs et de réassureurs qui avaient pour objectif de respecter l’objectif “neutralité carbone” en 2050 (4).


La volonté pour les membres était de prendre en compte les effets du changement climatique ainsi que les objectifs climatiques dans leur politique de couverture des risques.
À terme, le souhait était de convaincre de nouveaux acteurs de rejoindre l’alliance et ainsi “d’accroître la dimension mondiale de sa composition” (5).
Il était convenu que chaque membre avait des objectifs intermédiaires individuels avec obligation de rendre compte des progrès obtenus chaque année.
Une telle alliance met en exergue un réel engagement historique en faveur d’une économie décarbonée. En effet, après les banques, les gérants d’actifs et les investisseurs institutionnels, les assureurs avaient également décidé de prendre des engagements conjoints de lutte contre le réchauffement climatique (6). Le PDG du Groupe Generali, Philippe Donnet, avait d’ailleurs souligné la force de cet engagement en évoquant le grand espoir de cette alliance au regard de la dimension collective avec comme objectif : avoir un impact durable et significatif (7).

Néanmoins, l’avenir de la NZIA a rapidement été compromis puisque des départs en cascade ont été observés ces derniers mois. Le premier groupe français qui a pris la décision de quitter l’alliance est SCOR en mai 2023. Il est à noter que trois autres groupes européens majeurs l’avaient précédé quelques mois plus tôt et, dans les mois qui ont suivi, d’autres membres sont également partis comme AXA.
Suite à ces départs multiples, une réunion extraordinaire avait été organisée pour tenter de freiner l’hémorragie et de sauver le mouvement (8). Néanmoins, cela n’a semble t-il pas été suffisant.

L’ensemble des groupes qui ont successivement quitté la NZIA n’ont pas détaillé les raisons de leur départ même si Munich Re avait évoqué “des risques d’entrave à la libre concurrence inhérents à ce type d’alliance” (9).
De nombreux procureurs d’Etats américains républicains avaient, en effet, menacé de poursuites les membres en prenant pour angle d’attaque la législation anti-trust qui, selon eux, empêcherait toute entente sur le climat.
Néanmoins, des acteurs ont commencé à s’opposer à ce type de discours. En effet, deux régulateurs européens viennent d’affirmer que “les coalitions d’investisseurs ne constituent pas un risque d’entente anticoncurrentielle”, prenant ainsi le contrepied des élus américains anti-ESG" qui avaient menacé les alliances comme ce fut le cas avec la NZIA (10).
En outre, les assureurs qui ne font désormais plus partie de l’alliance ont assuré qu’ils allaient poursuivre leur parcours de manière individuelle en matière de développement durable.

Des questions

Un tel exode de la NZIA, alliance qui semblait véritablement prometteuse, soulève de nombreuses questions sur le rôle des assureurs dans la transition écologique.
En effet, la stratégie des petits pas qui semble finalement privilégiée apparaît éloignée de la logique partenariale souhaitée pour permettre in fine un engagement conjoint efficace en faveur du climat. Dès lors, un sentiment d’échec ressort inévitablement puisque début 2023, “l’alliance comptait 29 membres et représentait 15 % du marché mondial de l’assurance” (12). Par conséquent, les assureurs ont incontestablement une responsabilité environnementale particulière. Ils sont, depuis de nombreuses années déjà, confrontés à l’augmentation de sinistres liés au changement climatique.
Le secteur assurantiel a réussi à rester efficient face à ces bouleversements puisqu’il a intégré le fait que la réalisation de certains risques considérés comme marginaux à l’époque est devenue plus envisageable.

Le secteur assurantiel a réussi à rester efficient face à ces bouleversements puisqu’il a intégré le fait que la réalisation de certains risques considérés comme marginaux à l’époque est devenue plus envisageable.
De ce fait, de véritables initiatives sont prises mais l’échec de la NZIA remet en doute la possibilité d’un véritable partage climatique viable. En effet, malgré une volonté de s’engager ensemble, les acteurs de l’assurance se heurtent à des obstacles structurels manifestes qui limitent leurs actions relatives à la décarbonation.
En raison de nombreuses pressions juridiques, économiques voire politiques, la décarbonation est inévitablement freinée, ce qui engendre de nombreuses craintes pour le futur.


Visuel de Une : illustration DR