Le principe de neutralité

Le principe de neutralité religieuse en ?entreprise dévoile ses contours

Dans un arrêt du 22 novembre 2017 (n° de pourvoi : 13-19855), la Chambre sociale de la Cour de cassation tire les leçons de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) rendue récemment en matière de principe de neutralité.

Par Maître Pauline MALGRAS, Avocat associé CAPSTAN Avocats - Sophia Antipolis

Ce principe, introduit en France par la loi El Khomri du 8 août 2016, permet à une entreprise d’insérer dans son règlement intérieur une clause de neutralité restreignant la manifestation des convictions des salariés si :
- Ces restrictions sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités de bon fonctionnement de l’entreprise ;
- Et si elles sont proportionnées au but recherché.

Premier acte : les arrêts de la CJUE du 14 mars 2017

En mars dernier, suite à une question préjudicielle de la Cour de cassation, la CJUE énonçait l’obligation pour un employeur d’édicter clairement le principe de neutralité qu’il souhaite voir mis en œuvre au sein de son entreprise, par l’insertion d’une clause dans le règlement intérieur de la société ou la
publication d’une note de service établie dans les mêmes conditions que le règlement intérieur.
Dans un autre arrêt daté du même jour, à l’occasion d’une affaire belge, les juges unionistes édictaient les conditions pour que ce principe soit jugé conforme aux directives européennes relatives aux discriminations directes et indirectes :
- La clause doit être générale et indifférenciée et viser tous les signes religieux, politiques ou philosophiques ;
- Elle doit s’appliquer uniquement aux salariés en contact avec la clientèle ;
- En cas de refus d’un salarié de se conformer à ce principe, l’employeur doit rechercher à reclasser le salarié sur un poste sans contact physique avec la clientèle avant d’envisager son licenciement.

Second acte : l’arrêt de la Cour de cassation du 22 novembre 2017

L’affaire qui était soumise à la Cour de cassation, ayant conduit cette dernière à interroger la CJUE par le biais d’une question préjudicielle, concernait le sujet épineux du port du voile en entreprise.
En l’espèce, une ingénieure d’études, embauchée par une société de conseil, était amenée à intervenir dans les entreprises clientes de son employeur et le faisait sans retirer le foulard islamique qu’elle portait au quotidien et notamment dans les locaux de l’entreprise qui l’employait. Or, une société cliente avait demandé à ce que l’ingénieure retire son foulard lors de ses interventions en son sein car cela gênait, selon elle, certains de ses collaborateurs.
Suite au refus exprimé par la salariée de retirer son voile, une procédure de licenciement avait été engagée à son égard par son employeur. Durant l’entretien préalable de la salariée, la Directrice des ressources humaines de la Société lui avait demandé de retirer son voile uniquement lors de ses interventions auprès de la clientèle, ce que la salariée avait une nouvelle fois refusé. Elle avait donc été licenciée pour ce motif.
La Cour d’appel de Paris avait reconnu la validité de ce licenciement. Appliquant la jurisprudence de la CJUE, la Cour de cassation condamne cette position au motif que l’employeur de cette salariée n’avait pas inscrit dans son règlement intérieur un principe de neutralité. Ainsi, la Cour de cassation rappelle qu’en l’absence d’une telle clause, seule une exigence professionnelle essentielle et déterminante permet de justifier ce type de licenciement.
La position déjà exprimée sur ce point par la CJUE, reprise par la Cour de cassation est que la volonté d’un employeur de tenir compte de la position d’un client de ne plus voir les services dudit employeur assurés par une salariée portant un foulard islamique ne constitue pas une telle exigence.
La Cour de cassation fait également siennes les conditions de validité de la clause de neutralité énoncées par la CJUE, en cela compris l’obligation de reclassement. Elle rappelle ainsi dans son attendu de principe qu’"en présence du refus de la salariée de se conformer à une telle clause [de
neutralité] dans l’exercice de ses activités professionnelles auprès des clients de l’entreprise, il appartient à l’employeur de rechercher si, tout en tenant compte des contraintes inhérentes à l’entreprise et sans que celle-ci ait à subir une charge supplémentaire, il lui est possible de proposer à la salariée un poste de travail n’impliquant pas de contact visuel avec ces clients, plutôt que de procéder à son licenciement"
.
On peut s’étonner de cette nouvelle obligation de reclassement qui ne s’appuie sur aucune disposition légale française.

Epilogue

Rappelons que les enjeux sont importants en la matière puisque si une société licencie un salarié en contact avec la clientèle au motif qu’il a refusé de retirer un signe religieux visible, sans avoir inséré un principe de neutralité dans son règlement intérieur, c’est la nullité du licenciement qui sera prononcée au motif d’une discrimination. Or, le licenciement discriminatoire écarte l’application du récent barème Macron limitant le montant des dommages-intérêts en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par conséquent, les entreprises désireuses d’appliquer un principe de neutralité doivent impérativement insérer dans leur règlement intérieur une clause dite de neutralité respectant les principes ci-dessus énoncés.
En cas de mise en œuvre dudit principe à l’encontre d’un salarié, elles devront également être en mesure de justifier de l’impossibilité de le reclasser.
À défaut, il conviendra de justifier d’une exigence professionnelle essentielle et déterminante pour motiver le licenciement d’un salarié refusant d’ôter un signe politique, religieux ou philosophique ostentatoire, ce qui est à ce jour quasiment restreint à des raisons impérieuses d’hygiène et sécurité.

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