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Net Zero Insurance Alliance : De l’ambition à l’impuissance

La Net Zero Insurance Alliance, dit NZIA, est une coalition réunissant les principaux leaders mondiaux de l’assurance née en 2021 durant le sommet du G20 de Venise consacré au climat.


Par Antoine Rodot,
Alternant Conseiller Bancaire - Étudiant Master 2 Droit Bancaire et Fintech -
Membre ANEJA et AFJE06
Parution dans le cadre du cycle d’étude "Droit des assurances approfondi - L’assurance face à la décarbonation"

Net Zero Insurance Alliance, de quoi parle-t-on ?

Dans la lignée du pacte vert Européen, ce projet NZIA, placé sous l’égide de l’Organisation des Nations Unies, vise la neutralité carbone de l’activité assurantielle d’ici 2050.
Pour y parvenir, l’alliance souhaite notamment bâtir une méthodologie de normalisation universelle permettant la mesure puis la divulgation des émissions des portefeuilles de souscriptions aux fins d’accompagner les assureurs vers un retrait progressif du secteur d’exploitation des énergies fossiles au profit d’investissement durable.
Cependant, en dépit d’un ambitieux projet, deux ans seulement après sa genèse, cette alliance dédiée au climat est déjà dans la tourmente.

Cette coalition qui a pourtant réuni jusqu’à trente des plus grands acteurs internationaux de l’assurance à son apogée, n’en compte désormais plus que onze suite à de multiples départs recensés durant l’année 2023.

C’est en effet à la surprise générale que les géants de l’assurance Lloyd’s, QBE et Scor ont d’abord tiré leur révérence avant que le départ de six des huit fondateurs de l’alliance (Axa, Allianz, Munich Re,…) n’actionne définitivement la sonnette d’alarme (1).

Pourquoi un revirement d’attitude si soudain ?

La raison de ces départs prématurés fut d’abord inconnue, alimentant nombreuses spéculations dans la presse avant que le président Joachim Renning du groupe Munich Re ne vienne rompre ce silence (2).
Au moment de son éviction, ce dernier affirme dans un communiqué de presse que cette alliance avait pour effet d’exposer le groupe à « un risque élevé de non-respect du droit de la concurrence  » avant que ce même motif ne soit successivement repris un à un par les assureurs Axa, Zurich et Hanover Re à leurs départs.
Cette mise en alerte puise sa source dans une lettre en date du 15 mai 2023 adressée par 23 procureurs généraux républicains de l’État de Louisiane et d’Utah aux membres de la NZIA mettant en demeure ses assureurs de se conformer aux règles du droit de la concurrence sous peine de poursuites judiciaires des autorités américaines (3).
Selon leur argumentaire, cette entente visant les grands émetteurs aboutirait à une diminution de l’offre et donc par incidence à une forte inflation pour le consommateur contrevenant alors aux lois antitrust.

Dans un tel contexte de défiance géopolitique les assureurs ont-ils les moyens de continuer à plaider pour le climat ?

Face à un conflit à coloration politique, nombreux sont les experts s’accordant à dire que la raison de cet exode massif est bien plus profonde que la seule crainte de représailles juridiques.
En effet, selon Curtis Ravenel, conseiller principal à la Glasgow Financial Alliance for Net Zero, la problématique à laquelle se heurte la NZIA est d’abord structurelle.
En effet, fort de ces 2 732,9 milliards USD de revenus totalisant près de 40 % de la prime mondiale, le marché américain de l’assurance est de loin le premier mondial.
Ce monopole sur la scène internationale fait des Américains un acteur incontournable en la matière influençant le reste du monde en imposant ses propres normes et standards.
Du fait de cette mainmise sur le marché, nombreux sont les assureurs placés en situation d’interdépendance économique vis-à-vis de dernier, qui par crainte d’atteinte réputationnelle et de perte de marché se voient pour les plus exposés contraints de quitter l’alliance.
Ce leadership sur le marché permet donc aisément à ces procureurs d’exploiter un «  facteur de peur  » comme arme d’intimidation d’un secteur d’activité peu accoutumé aux pressions politiques. (4)
Curtis Ravenel démontre en effet que la Net Zero Asset Managers et la Net Zero Banking Alliance poursuivant la même finalité climatique que la NZIA ont également été visés par la lettre de ces procureurs sans toutefois connaitre le même délitement du fait d’un marché bancaire et financier moins déséquilibré rendant ainsi ces acteurs plus hermétiques aux groupes d’intérêts externes.

Inculquer un second souffle ou sceller l’existence de cette alliance ?

Au sortir de cette crise, cette interrogation sera le fil conducteur qui guidera les réflexions des pouvoirs publics vers une refonte de l’avenir tirant les leçons du passé.
Si cette alliance pour le climat s’est désolidarisée, les assureurs ayant quitté l’alliance ont toutefois affirmé vouloir poursuivre cet objectif de transition écologique de façon individuelle ce qui sans éteindre toute interrogation sur l’impact réel de leurs actions est tout de même porteur d’espoir.
Indépendamment de la trajectoire choisie (levier répressif, incitatif…), enjoindre un cadre normatif uniformisé édifiant un « minima juridique » astreignant tous les assureurs sans distinction sera l’une de ses priorités.
L’instauration d’un tel « minima légal » viserait à aboutir à un marché mondial de l’assurance unifié par opposition à sa fragmentation actuelle favorisant le contournement des obligations en vigueur par l’imposition de mesures protectionnistes.
De tradition, aux États-Unis, le rôle du secteur public est peu important, laissant une grande marge de liberté aux assureurs intervenant sur un marché peu règlementé.
Cette absence de règlementation incite donc peu ces acteurs à délaisser un secteur du pétrole et du charbon encore largement fructueux.
D’autre part, ce statuquo réduit la portée des efforts consentis par les « bons élèves » pour le climat ayant accepté la prise de risque d’une réinvention de leurs politiques commerciales qui, face aux grands industriels américains, se heurte à un déséquilibre significatif.
Ce déficit législatif est donc à l’origine du développement de phénomènes comme celui du « greenhushing » dans lequel les entreprises finissent par taire leurs engagements climatiques, voire arrêter d’en prendre, en raison de leur caractère trop risqué comme la division de la NZIA a pu en témoigner.

Cette chute de la NZIA doit donc être mise sous le feu des projecteurs afin d’alerter les gouvernements sur la nécessité d’encadrer la compétitivité des entreprises engagées pour le climat tout en leur assurant un périmètre de sécurité juridique.


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Visuel de Une : illustration DR

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