TUP, Europe et présomption

TUP, Europe et présomption générale de fraude ou d’évasion fiscales

Nombreux sont les dirigeants de PME françaises prospères qui voudraient transférer, sans frais, leur entreprise dans un pays moins favorable à l’imposition et qui eux-mêmes voudraient déménager pour être des contribuables moins généreux à l’égard du fisc. C’est, comme souvent, le Conseil d’État qui se fait le relais de leur souhait, aidé cette fois-ci par la Cour de Justice de l’Union Européenne (1).

Par Maître Marc MEISNER, Cabinet d’Avocats Nice- Paris, Mandataire en transaction immobilière, Mandataire sportif - [email protected]

Par la loi de finance pour 2018 votée en 2017 [1], la France - contrainte et forcée par une décision de la Cour de Justice de l’Union Européenne - a dû
renoncer à considérer comme des fraudeurs, ceux qui veulent simplement aller vivre dans un pays dont la fiscalité est plus favorable aux contribuables.

Comme l’indique l’Avocat Général Melchior Wathelet : par les articles 210 B, paragraphe 3, et 210 C, paragraphe 2, du Code général des impôts, la
législation française "instaure une présomption générale de fraude ou d’évasion fiscales" [2], contraire au droit européen. La remarque de ce Haut magistrat en dit long sur la manière dont l’État français conçoit la "fraude ou l’évasion fiscales". Pour une entreprise ou un dirigeant souhaiter quitter la France est suspect de vouloir se soustraire à l’impôt. Si c’est l’opinion de l’État français ce n’est pas celle du droit européen.
Le droit Européen, depuis 1990 [3], a instauré un régime favorisant la restructuration des entreprises. Ces opérations ne peuvent pas, en elles mêmes, donner lieu à une imposition. Les éventuelles plus-values afférentes à ces opérations peuvent, en principe, être imposées, mais seulement à la date où elles sont effectivement réalisées. Ce qui signifie que ne sont pas imposées à la date à laquelle on y procède, les opérations de fusions, scissions, apports d’actifs et échanges d’actions. Un dirigeant peut donc transférer tous les éléments de son entreprise située en France dans une entreprise située dans un autre État européen, sans que cela emporte une imposition des plus-values par l’État français. C’est bien ce que l’État français voudrait rendre extrêmement coûteux. Car, s’il ne voit pas à redire lors du transfert d’une entreprise française à une autre entreprise française, il est tout à fait défavorable lorsque ce transfert à pour destination un autre état de l’Union européenne ; par exemple : le Luxembourg.

Il est, sous le numéro 1844-5 du Code civil français, un article qui permet ce transfert. Parce qu’il est un transfert tant des actifs que du passif, ce transfert d’une entreprise à l‘autre est un Transfert Universel de Patrimoine ou TUP.

Dans le vocabulaire technique le TUP est une fusion confusion de patrimoines. Cette confusion de patrimoines, est une dissolution sans liquidation et laisse subsister la société que l’on souhaite conserver. Ce TUP est une procédure discrète et légère qui n’impose pas de désignation d’un commissaire aux apports et ne nécessite pas de contrat mais une simple assemblée générale. En tant qu’elle aboutit à la réunion de deux sociétés en une seule et même entité, elle produit mais à moindre coût, les mêmes effets qu’une fusion.

Parce qu’elle est une forme de fusion, le TUP bénéficie donc de la réglementation favorable de la Directive 90/434 dont la France a été, à juste titre accusée de vouloir compromettre les effets en instaurant une "présomption générale de fraude ou d’évasion fiscales". La seule condition est que la société mère qui veut recueillir le patrimoine, détienne cent pour cent des parts de la société fille qui va disparaître. Pour être concret disons que la société mère, par exemple étrangère qui recueillera le patrimoine de la société fille française qui disparaîtra, devra : déclarer au service des impôts du siège de la société fille la décision de procéder à un TUP et faire publier sa décision dans un journal d’annonces légales du lieu du siège de la société fille. À la date de cette publication, s’ouvre un délai de 30 jours pendant lequel d’éventuels créanciers de la société fille peuvent demander à être désintéressés. Ce délai écoulé, resteront des formalités d’enregistrement au Registre du Commerce et des Sociétés des ; opérations constatant la radiation de la société fille. On ne fait pas plus simple [4].

- Cette simplicité et le gain fiscal qui peut en résulter, ont séduit les dirigeants et porteurs de parts de la SCI Cairnbulg Nanteuil qui ont décidé un TUP au profit de l’associé unique de la SCI : la société de droit Luxembourgeois Euro Park Service ». À cette occasion, la SCI Cairnbulg Nanteuil a opté pour le régime spécial des fusions. Par conséquent, elle n’a pas déclaré à l’impôt sur les sociétés les plus-values nettes et les profits dégagés sur les actifs dont elle avait fait apport à Euro Park. Lors de la TUP, ces apports, constitués de biens immobiliers, ont été évalués à leur valeur nette comptable, soit 9 387 700 euros, dans l’acte notarié au travers
duquel la transmission universelle du patrimoine de SCI Cairnbulg Nanteuil à Euro Park a été faite. Le même jour, - c’est là ce qui a entraîné la réaction du fisc français - la société Euro Park a cédé ces biens immobiliers mais au prix de 15 776 600 euros, correspondant à leur valeur vénale. Ainsi l’État français voyait s’échapper la taxation de la plus-value sur cette vente de 15 776 600 euros. Grosse colère ! Et donc : contrôle fiscal ! Redressement ! Pénalités ! Majorations !

Le redressement, les pénalités et les majorations ont été annulés par le Conseil d’État qui a prononcé la décharge de l’imposition supplémentaire par son arrêt du 26 juin 2017 [5]. Le Législateur français a modifié les dispositions critiquées par la Cour de Justice de l’Union Européenne et le Conseil d’État. Mais cette réforme est faite en traînant les pieds. Il ne semble pas que la France a véritablement renoncé à considérer tout dirigeant ou entreprise quittant la France comme un fraudeur potentiel.

RÉFÉRENCES

1- A CJUE,1re ch.,8 mars 2017, Affaire C14/16, « Euro Park Service et CE, 9e et 10e ch., 26 juin 2017, n° 369311, Sté Euro Park Service, Inédit
2- L. n° 2017-1775, 28 déc. 2017, notamment pour ce qui suit l’art. 23
3- Conclusions de l’Avocat Général Melchior Wathelet présentées le 26 octobre 2016, Affaire C14/16, « Euro Park Service, §44
4- Directive 90/434 CEE déjà ancienne puisque du 23 juillet 1990
5- Comme souvent quand les formalités sont simples, leur mise en œuvre ne souffre pas l’approximation. Il convient donc de faire rédiger
l’ensemble des actes documents et formulaires nécessaires par un praticien compétent qui n’omettra aucune des mentions indispensables pour bénéficier de cette réglementation.
6- CE, 9e et 10e ch., 26 juin 2017, n° 369311, Sté Euro Park Service, Inédit

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Photo de Une (illustration) DR

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