Allô, mais qui est à (…)

Allô, mais qui est à l’appareil ?

Bien sûr, que ce soit en Ukraine ou à Gaza, il y a les images spectaculaires des bombardements et des destructions. Sur nos écrans de télévision, elles apparaissent au journal de 20 heures comme une sorte d’opéra grandiose et tragique, hypnotisantes, provoquant une sidération qui se dilue ensuite dans notre vie reprenant son cours ordinaire. Il y a aussi une guerre invisible, celle des espions, des agents secrets, dont on subodore bien l’existence « tellurique », mais que, par définition, on ne voit jamais.

Le site internet de la BBC a mis en ligne un article relatant comment des agents russes tentent de soudoyer, contre de supposés avantages, des civils ukrainiens pour obtenir des renseignements ou pour les inciter à passer à l’action contre leur propre pays. Sous le titre « Votre mari sera torturé et ce sera de votre faute  », il raconte le cas de Svitlina, 42 ans, vivant près de Kiev et qui attend depuis deux ans des nouvelles de son époux fait prisonnier. Un soir, le téléphone sonne dans son appartement, et un homme se présentant comme « Dimitri » lui tient à peu près ce langage sur la messagerie Telegram : « Si vous collaborez avec nous, votre mari aura un meilleur sort dans sa prison. Peut-être même qu’il sera sur la liste des prochains prisonniers échangés. » La voix lui suggère alors de mettre le feu à un bureau d’enrôlement de soldats, à un véhicule militaire, à un transformateur électrique des chemins de fer ou encore de localiser les défenses anti-aériennes qui protègent Kiev et l’Ukraine des attaques de drones.

Svitlina n’envisage pas un instant de trahir son pays. Elle applique les consignes des autorités pour de pareils cas : gagner du temps, faire des enregistrements des conversations, des captures d’écran du téléphone et transmettre le tout au service du contre-espionnage ukrainien. Quelques jours plus tard, « Dimitri » rappelle. Il explique à Svitlina comment fabriquer un cocktail Molotov, lui indique de mettre son portable en mode « avion » pour ne pas être localisée quand elle ira à la gare incendier le transformateur. Elle doit aussi, comme preuve, prendre une photo de son forfait. Si elle obéit, le mystérieux « Dimitri » lui assure qu’il pourra arranger un appel téléphonique avec son mari, voire lui faire passer un colis…

Quelle est l’efficacité de cette guerre invisible ? Quelle est son ampleur ? Pour une Svitlina qui a refusé, combien d’autres ont accepté de céder à ce genre de chantage aux sentiments ? Des questions qui restent évidemment sans réponse. Pendant la Seconde Guerre, on mettait en garde contre «  les murs qui ont des oreilles ». Au printemps 1982, aux Malouines, un officier britannique a pu récupérer facilement le dispositif de défense des Argentins : il a juste consulté l’annuaire papier qui se trouvait dans une cabine téléphonique, y a choisi un patronyme anglais parmi les abonnés de Port Stanley et glissé une pièce dans l’appareil. À l’autre bout du fil, la personne qui décrocha se fit un malin plaisir de renseigner l’armée de Sa Gracieuse Majesté, précipitant la déroute de Buenos Aires. Voici comment gagner une guerre pour quelques pence seulement. Depuis, on a fait des progrès : pour l’Ukraine, les appels sont gratuits sur Telegram…