Crise du logement : (...)

Crise du logement : La décentralisation peut-elle être la solution ?

Lors de la Soirée annuelle de l’OIH de la CCI Nice Côte d’Azur, jeudi 9 novembre, les acteurs de l’acte de bâtir se sont exprimés avec franchise face à des élus et des autorités à l’écoute.


Il est revenu au président de la Chambre de commerce et d’industrie du département, Jean-Pierre Savarino, puis au président de l’Observatoire Immobilier d’Habitat (OIH) Cyril Messika et à Muriel Fernand, responsable du pôle Immobilier OIH-CCI 06 de planter le décor. Peu reluisant. Il est ressorti de leurs discours et des chiffres dévoilés (voir ci-dessous) que la crise actuelle du logement est «  sans précédent ». Jean-Pierre Savarino a décrit une « crise qui a des répercussions sur l’ensemble des acteurs de l’acte de bâtir, sur les actifs, sur l’activité des entreprises et finalement sur l’économie azuréenne ». Cyril Messika a évoqué une situation « très préoccupante  » en raison d’un « déficit structurel de l’offre  » et d’un « choc de la demande ». Il a également rappelé le rôle de l’OIH, particularité de la CCI NCA, créé en 1978 et qui réunit les acteurs de l’acte de bâtir dans le but d’améliorer l’accès au logement des actifs. « Seul l’intérêt général nous anime, loin de toute revendication corporatiste », a-t-il assuré. Pour Jean-Claude Driant, professeur émérite à l’École d’urbanisme de Paris, intervenant de la table ronde organisée par l’OIH au centre d’affaires de l’Aéroport Nice Côte (« Crise du logement, une politique de l’habitat à rebâtir ? »), cette crise est en fait, « pour simplifier beaucoup, le cumul de deux crises  ».


Raison idéologique

Jean-Claude Driant ©VN

« Il y a une crise du logement trop cher, qui concerne beaucoup de monde et qui est le résultat de 20 ans de montée constante des prix. À cette crise s’ajoute une crise immobilière extrêmement lourde liée au contexte international, à l’inflation et à la montée des taux d’intérêt  ». Il a précisé que ces derniers étaient «  moins élevés que l’inflation » mais quatre fois plus élevés qu’il y a deux ans  » et que les prix n’avaient pas «  baissé en proportion ». Face à cette crise inédite, M. Driant a relevé que le gouvernement ne prévoyait pas de mesures contra-cycliques, comme ce fut le cas pour le début des années 90 et 2008. « La première raison est que l’on sort de quelques années de quoi qu’il en coûte, ce qui n’incite pas trop l’État à remettre de l’argent dans la machine. La deuxième raison est plus idéologique et on peut se référer à une citation du président de la République en mai 2023 : ‘Le secteur du logement est un système de sur-dépense publique’. C’est sa lecture. Le marché ajustera. Ou les collectivités territoriales ». L’urbaniste a alors abordé la question de la décentralisation, à l’étude par le gouvernement, avant d’également soulever l’indispensable question écologique. « Mais décentraliser à qui, décentraliser quoi et avec quels moyens ? », a-t-il demandé. La sénatrice des Alpes-Maritimes Dominique Estrosi-Sassone, qui connait bien tous les aspects du logement, assure qu’une décentralisation « n’a de sens que si se rencontrent deux forces : la responsabilité nationale de l’État et la force des collectivités locales ».


« Exutoire »

Loic Cantin, Dominique Estrosi-Sassone et le Hugues Moutouh ©VN

Loïc Cantin, président national de la FNAIM, ne croit pas à une telle loi de décentralisation. « Je pense que c’est un exutoire à une incapacité de la part de l’État à réagir et qu’il faut remettre beaucoup de choses à plat », a-t-il affirmé, proposant notamment la portabilité et la transférabilité des prêts afin de « soulager les ménages ».
Également intervenant de la table ronde, le préfet des Alpes-Maritimes a d’abord fait part de sa préoccupation face à une telle situation. Croyant plus au marché qu’à la décentralisation, «  en tant qu’ancien chef d’entreprise  », Hugues Moutouh a ajouté que ce que le gouvernement mettait « sur la table », dont l’élargissement du prêt à taux zéro, était « un début ». « C’est la preuve que vous avez été entendus, même si je sais que cela fait quelques années que vous criez très fort… Je pense qu’il faut être très humbles, à l’écoute des professionnels. On doit fixer des objectifs d’intérêt général mais on doit vous donner les moyens pour vous permettre de réaliser vos objectifs », a estimé le préfet.
Dans le public, parmi près de 300 personnes, Anthony Borré, 1er adjoint au maire de Nice chargé du logement, était l’un des rares élus locaux présents. «  Il ne faut pas opposer les uns aux autres. On n’y arrivera pas s’il y a les promoteurs d’un côté et les collectivités de l’autre, s’il y a l’État d’un côté et les collectivités de l’autre », a-t-il défendu. « C’est tous ensemble qu’on arrivera à faire avancer cette cause ».


« Je n’ai pas de bons indicateurs à vous montrer »

Muriel Fernand a d’emblée été transparente. Le marché de l’existant, qui représente 70 à 80 % des transactions dans les Alpes-Maritimes, a chuté de 22 % en 2023, selon des chiffres arrêtés à la fin du 3e trimestre, en année glissante. Les prix sont en nette augmentation, de 9%, et franchissent la barre des 5 000 euros du m2 (5 001 euros). « Très longtemps, ce marché de la revente a pallié les insuffisances du neuf  », a relevé la responsable du pôle Immobilier de l’OIH et de la CCI 06. Dans le neuf justement, les mises en vente ont dégringolé de 27 % et les ventes de 25 %. Selon une estimation de la Directive territoriale d’aménagement (DTA), il faudrait environ 5 000 logements neufs par an dans les Alpes-Maritimes mais la moyenne de production de logements se situe depuis plusieurs années autour des 3 000 à 3 500 logements par an, ce qui fait qu’en cumul, ce sont près de 18 000 logements qui font défaut dans le département. Les prix dans le neuf atteignent près de 7 000 euros du m2. « Assez loin de la capacité des actifs », a souligné Mme Fernand.

Muriel Fernand présente les résultats intermédiaires de l’enquête CCI sur le logement des actifs ©VN

Avec un marché de l’existant en net recul et un marché du neuf toujours en grande souffrance, «  il est de plus en plus compliqué de loger nos actifs  », a reconnu William Siksik, co-président de la FNAIM 06. «  La situation va extrêmement mal dans notre territoire », a alerté Marc Raspor, président de la Fédération des promoteurs immobiliers des Alpes-Maritimes. « C’est assez schizophrénique : on a besoin de logements mais on en fait moins. Aujourd’hui, il va falloir intervenir pour sauver des emplois, on ne parle même plus de loger des gens ». Même son de cloche du côté de la FBTP 06. « La priorité c’est la sauvegarde de l’emploi  », a affirmé Lionel Dolciani, vice-président de la fédération locale, rappelant que 150 000 emplois directs sont menacés au niveau national dans les deux ans, soit 2 800 à 3 000, sur un total de 25 000 salariés, dans le département. « C’est énorme ».


Quel impact pour les entreprises azuréennes ?

Les résultats de l’enquête montrent comment le logement impacte l’emploi sur le territoire ©VN

Au-delà des sociétés directement liées à l’acte de bâtir, de nombreuses sociétés souffrent également de cette crise du logement. La CCI Nice Côte d’Azur s’est penchée sur l’impact du logement pour les entreprises azuréennes et a profité de la soirée de l’OIH pour présenter les résultats intermédiaires d’une enquête flash. « Nous avons souhaité mesurer l’impact des difficultés liées au logement en réalisant une enquête en octobre auprès des entreprises du département. Sans surprise, le logement des actifs est une problématique pour les entreprises du territoire », a déclaré Jean-Pierre Savarino. A la question « Constatez-vous des problématiques de logement chez vos salariés ? », 87 % des dirigeants ont répondu oui, dont 52 % pour au moins la moitié de leurs effectifs. Tout sauf une problématique marginale. Les problèmes le plus souvent évoqués par les salariés sont le coût du logement, à la location (en 1er ) et à l’achat (en 2e). Ils se plaignent également d’un logement trop éloigné de leur lieu de travail, d’une mauvaise desserte en transports en commun et d’un logement pas adapté aux besoins. Les conditions de logement des salariés ont des répercussions dans les entreprises en termes de fatigue et de moindre qualité au travail, avec également des retards.
Toujours selon l’enquête, pour 90 % des répondants la question du logement des futurs salariés est importante ou très importante dans un processus de recrutement. Ils sont 78 % à avoir déclaré que des candidats ont renoncé à un poste faute de pouvoir trouver un logement et cela représente 9 % des effectifs des entreprises concernées. Pire, ils sont 45 % à avoir connaissance de démissions liées au logement. Plus de 40 % des répondants (43 %) assurent proposer des dispositifs au sein de leur entreprise pour accompagner les salariés sur les problématiques de logement, dont un partenariat avec Action Logement (pour 26 %), une aide en situation de mobilité professionnelle ou un partenariat avec une structure spécialisée (18 %), un aménagement du temps de travail (18 %) ou encore des aides financières ou en nature (9 %).

Photo de Une : Jean-Claude Driant, Loïc Cantin, Dominique Estrosi-Sassone et Hugues Moutouh. ©VN

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