Edito - La démocratie (…)

Edito - La démocratie à bout de souffle

La victoire de Donald Trump était loin d’être écrite à l’avance et, à vrai dire, peu de monde avait imaginé qu’elle puisse être aussi nette. Il a réalisé une vraie performance. Pour retrouver « son » bureau ovale à la Maison-Blanche, le leader des Républicains aura survolé les obstacles dans sa reconquête. S’il a facilement réussi à faire le ménage dans son parti en écartant ceux qui, depuis sa défaite de 2020, avaient mis en doute ses capacités à diriger, il a aussi slalomé entre les étapes judiciaires qui jonchaient son parcours. Et qui, dans une démocratie « normale », auraient dû le précipiter aux oubliettes...
Car le nouveau président américain est poursuivi au pénal dans pas moins de quatre affaires pour lesquelles il risque - en théorie - des années de prison. Elles auraient, devant les tribunaux, pu mettre un terme prématuré à sa candidature. Passons sur les frasques avec une « star » du porno : il n’a jamais reconnu avoir acheté le silence de sa partenaire malgré un faisceau de présomptions concordantes sur cette affaire qui a amusé (ou agacé) la galerie. Il a pourtant été reconnu coupable de la falsification de documents comptables pour cacher un paiement de 130 000 dollars à Stormy Daniels. Mais le prononcé de la peine a été reporté à fin novembre, donc après l’élection. Considérons aussi comme anecdotique le procès entrepris pour avoir emporté chez lui des documents fédéraux classifiés destinés à être versés dans les rayons « top secret » des archives nationales.
Ce qui aurait dû le disqualifier définitivement, ce sont les poursuites de « complot contre l’État » lorsqu’il a tenté d’invalider l’élection de Joe Biden après sa défaite en 2020, et surtout son attitude pour le moins ambiguë dans l’assaut du Capitole par ses partisans. Mais là encore, pas de quoi trop inquiéter Trump : il a affirmé récemment qu’une fois élu il renverra « en deux secondes » le procureur spécial chargé de l’enquête dans ces deux affaires. Il aura aussi tout loisir de s’accorder à lui-même une grâce présidentielle, le genre de privilège qui était autrefois l’apanage des républiques bananières et des dictatures.
Les mensonges éhontés (comme les immigrés haïtiens qui mangeraient du chat et du chien), les grossièretés pendant les meetings, les positions extrémistes, les affirmations à l’emporte-pièce comme sa promesse de mettre fin à la guerre en Ukraine en 24 heures, n’ont pas fait douter un instant une majorité des électeurs.
Voici Trump réélu à la régulière pour quatre ans.
Les Américains ont préféré en pleine connaissance de cause le candidat républicain aux excès imprévisibles à la démocrate Kamala Harris, ancienne procureure en Californie, élégamment qualifiée de « nulle » par le vainqueur. Les arguments de bateleurs de foire sont à l’évidence plus efficaces que les explications nuancées des candidats « raisonnables », même si chacun sait bien au fond qu’il s’agit de « fake news » martelées à l’envi jusqu’à ce que leur caractère répétitif les présente comme des évidences. Les votants ont entendu ce qu’ils voulaient écouter.
Cela nous parle de l’état de la démocratie, et c’est très inquiétant pour l’avenir, pas seulement aux États-Unis.
Jean-Michel CHEVALIER