Gil Bernardi : « De (…)

Gil Bernardi : « De cet héritage, qu’en avons-nous fait » ?

Le 8 mai, la Ville a célébré, avec fidélité et ferveur, la commémoration du 79ème anniversaire de la Victoire du 8 mai 1945, une cérémonie marquée du sceau de la gratitude envers nos libérateurs.

Depuis 79 ans, c’est, en effet, un devoir de mémoire pour ces combattants qui ont permis à notre Nation de recouvrer la liberté, souvent au prix de leur vie lors de cette page sombre de l’Histoire qui se terminait.

SENTINELLE ET OPULENCE

Comme l’a rappelé Gil Bernardi dans une subtile intervention : «  Le 8 mai est un jour glorieux. Celui de la Victoire, bien sûr, mais aussi celui du soulagement après cinq années de combats meurtriers dans une guerre devenue mondiale. Glorieux surtout de 80 ans de paix, comme une chance pour quatre générations qui n’ont pas connu d’autres conflits directs que ceux hérités de la décolonisation. Une bénédiction à préserver à l’éclairage des tragédies passées – planétaires. Sous l’exhortation partagée à rester vigilants, en soldats de la paix, en gardiens responsables de ce précieux trésor. En sentinelles luttant contre l’assoupissement de l’opulence et du confort, des mirages du pacifisme. De cet héritage, qu’en avons-nous fait ?

Nos esprits étaient sans doute mobilisés ailleurs. À nous inquiéter des lignes de fractures annonciatrices de séismes. Pourtant bien visibles ces derniers temps au Moyen Orient, depuis l’Irak jusqu’à la Syrie où le malin rôdait à l’exercice, comme durant la guerre d’Espagne, qui fourbissait ses armes à Alep, comme la Légion Condor l’avait fait jadis à Guernica ».

OMBRE CHINOISE

Face aux attentats et à la nouvelle guerre asymétrique, le premier magistrat a ajouté : « À résister contre l’islamisme, tout en nous gardant bien de fustiger l’islam de tolérance. À cautériser les métastases de l’État Islamique. À enrayer le moindre soubresaut du Califat. Traumatisés par la dégringolade des tours jumelles de New-York. À pourchasser les tenants d’Al-Qaïda dans les montagnes afghanes. A démêler les imbroglios des Printemps Arabes. À enrayer la progression salafiste dans les déserts du Sahel. Avec l’insuccès que l’on sait ! Mais le diable rôdait déjà ailleurs, en ombre chinoise, sournois et machiavélique, attendant son heure. Préparant sa revanche.

L’autre menace, celle d’un nouveau conflit en Europe, après le Kosovo endigué, nous ne l’avions pas vue monter. A moins que nous ayons refusé de l’envisager, bercés que nous étions tous des mélopées sirupeuses de Rostropovitch au pied du mur démantelé. Alors que nous considérions le démembrement de l’URSS comme irréversible. Alors que nous nous croyions, définitivement à l’abri de la dissuasion nucléaire de nos SNLE. Épargnés de tout danger, sous ce parapluie protecteur ».

Pourtant, les leçons d’une histoire « qui bégaie plus qu’elle ne se répète » suivant l’expression prêtée à Charles de Gaulle, nous ne les avons guère retenues. Les signes d’un nouvel embrasement, sur ce Vieux Continent, étaient bien perceptibles : ceux d’un Empire qui rêvait de renaître de ses cendres. Depuis la seconde guerre en Tchétchénie, celle d’une indépendance avortée en 1999, et le rattachement de cette République autonome à la Fédération de Russie.

NOSTALGIE RUSSE

« Jusqu’à l’invasion de la Géorgie sous couvert de libérer l’Ossétie du Sud, en 2008, jusqu’à la guerre du Haut Karabakh, nous avions des excuses : Grozny, Tbilissi et, à fortiori, le Nagorny Karabakh ne disaient rien à personne. Et puis, c’était tellement loin ! Pas vraiment notre affaire, croyions-nous. Jusqu’à l’invasion de la Crimée, en 2014, sous prétexte de la libération de Tatars introuvables - car déjà déportés par un autre tyran, Staline - et de l’assujettissement de la population russophone, par ce qu’il fut convenu d’appeler « les petits hommes verts », ou la guerre larvée du Donbass, entretenue par Moscou. La Crimée, cela nous disait quelque chose. Ne serait-ce que par de vagues réminiscences du corps expéditionnaire de 1853, quand les troupes françaises furent décimées plus par la grippe que par la mitraille de l’Empire Russe. C’était méconnaître l’Histoire, encore, celle de la Grande Russie, dont la stratégie a sauté les régimes, obnubilée par l’ouverture de la flotte impériale vers les mers chaudes. L’Occident savait que Moscou ne se laisserait jamais déposséder ni de sa sphère d’influence, ni de son accès à la mer Noire. Comme il connaissait la nostalgie russe pour les temps de la démesure impériale », a analysé, avec raison, le maire.

Le 20 février 2014, l’invasion de la Crimée est consommée par l’Armée de la Fédération de Russie. Sans coup férir. Alors que 100 000 soldats sont massés aux frontières ukrainiennes. Et l’on commence, alors, à percevoir la petite musique d’une dénazification de l’Ukraine indépendante, dont les dirigeants ont commis l’inadmissible pour Moscou.

NOUVEAU TZAR

« Il s’agit de tenter de s’affranchir d’une pesante tutelle et se découvrir une nouvelle vocation à entrer dans l’Europe. Crime de lèse-majesté, l’aspiration à la liberté est une affection contagieuse. Vouloir ressembler à l’Occident décadent, une maladie mortelle.

Qu’avons-nous fait alors, sinon que d’élever des protestations timides, que d’agiter la menace de sanctions européennes, trop dépendants que nous étions, de recevoir les flots de gaz russe, acheminés par Nord Stream ! Plutôt que d’endiguer les velléités de reconstituer, pièce après pièce, l’ancienne URSS. État après État. Méthodiquement. D’ailleurs, qu’y pouvions-nous ?

Avons-nous réellement cru que le nouveau Tzar se satisferait des leçons de morale occidentale, sous les ors de Versailles, puis au son des cigales de Brégançon (20 août 2019), alors qu’il pourchassait ses opposants à travers le monde à coup de Novitchok ? Qu’il respecterait le protocole de Minsk du 5 septembre 2014, interdisant toute opération offensive et confiant la mission de surveillance de l’accord à l’OSCE, tout comme le tyran d’hier s’était affranchi du traité de Munich. Croyions-nous alors que le siège permanent de la Fédération de Russie au Conseil de Sécurité de l’ONU l’empêcherait de s’exonérer des règles qu’un autre despotisme avait enfreintes pour la SDN ? Mêmes causes, mêmes effets (…) », s’est interrogé, avec pertinence, Gil Bernardi.

Photo de Une : ©Francine MARIE