Projet de loi immigration

Projet de loi immigration - Alexandra Borchio-Fontimp : « Pas à la hauteur de l’enjeu »

La sénatrice des Alpes-Maritimes estime que le projet de loi visant à contrôler l’immigration et améliorer l’intégration, débattu cette semaine au Sénat, ne va pas suffisamment loin.


Que pensez-vous de l’esprit de ce projet de loi ?

- Je crois qu’il n’y a pas lieu de se questionner sur l’opportunité d’agir en matière d’immigration, il est indéniable qu’il est fondamental de répondre aux défis de notre temps. Les Français sont quasi-unanimes pour nous dire qu’il y a trop d’immigration et que nous n’arrivons plus à assimiler. Avec plus de 320 000 primo-délivrances, la France n’a jamais délivré autant de titres de séjour qu’en 2022 (+ 17,2 % par rapport à l’année précédente). Cette immigration massive et incontrôlée participe à la montée de l’insécurité, du séparatisme et nourrit le communautarisme qui mène dans certains cas directement au terrorisme. Pour autant, je pense fondamentalement que les solutions esquissées par le gouvernement dans ce texte ne sont pas à la hauteur de l’enjeu auquel nous sommes confrontés. C’est d’ailleurs dans cette optique que la commission des lois du Sénat a fait le choix, dans une logique constructive, de muscler les dispositions allant dans le bon sens tout en complétant ou ajoutant des mesures essentielles pour donner a ? ce texte une pertinence, une effectivité.

Quelles dispositions semblaient aller « dans le bons sens » même s’il convenait de les « muscler » selon la commission des lois du Sénat ?

- Les 71 amendements adoptés par la commission des lois ont en réalité deux principaux intérêts. D’une part, ils musclent des dispositions du gouvernement allant dans le bon sens. D’autre part, ils viennent également combler les manques, les oublis de ce projet de loi. En ce qui concerne les dispositions allant dans le bon sens, je peux par exemple vous citer l’obligation de réussite à un examen de langue pour obtenir un titre pluriannuel (article 1), la facilité de la levée des protections contre l’éloignement (articles 9 et 10) ou celles relatives au respect des principes de la République (article 13).

Quels seraient les manques ou les oublis ?

©Sénat

- Je trouve regrettable que ce texte laisse de côté des pans entiers de la politique migratoire. Je pense notamment à l’appréhension des Mineurs Non Accompagnés qui est la grande oubliée de ce texte alors que les Départements en charge des MNA demandent à disposer de plus de pouvoirs en matière de réquisition d’hébergements et peinent à subir cette immigration. À titre d’exemple, si en 2014, 174 mineurs non accompagnés devaient être pris en charge par le Département des Alpes-Maritimes, au 18 août 2023, ils étaient 4 333. Concernant l’article 3 (pour lequel un accord a été trouvé par l’ensemble des sénateurs, avec un durcissement des critères prévus dans la circulaire Valls, NDLR), la commission des lois avait réservé son jugement pour la séance publique. Pour ma part, en tant que porte-parole Les Républicains et sénatrice d’un département frontalier, les articles 3 et 4, dans leurs versions initiales du gouvernement, sont des lignes rouges que je ne franchirai pas, car je n’accepte pas la régularisation de travailleurs clandestins. Je suis profondément opposée à l’idée d’envoyer, notamment aux filières d’immigration qui font de la traite d’êtres humains, le signal qu’en France, la fraude est une voie de régularisation.

La commission des lois recommandait de doter la France d’une « réelle stratégie en matière migratoire ». Quelles en seraient les grandes lignes ?

- C’est d’ailleurs le reproche majeur que nous pouvons faire à l’égard de ce texte : nous avons davantage l’impression qu’il est le fruit de mesures juxtaposées les unes aux autres plutôt que d’une réelle stratégie en matière migratoire. Nous recommandons de s’appuyer sur la maitrise des voies d’accès au séjour avec la mise en place de quotas en matière migratoire et la lutte contre l’immigration irrégulière. Il est anormal que selon le contrôleur général des lieux de privation de liberté, en 2022, seulement 7% des Obligations de Quitter le Territoire Français (OQTF) soient exécutées. Cette stratégie doit également s’appuyer sur une opérante politique d’intégration prévoyant par exemple un niveau de langue minimal garantissant la pleine intégration des immigrés à leur arrivée en France. De plus, il est nécessaire de s’attaquer à la source de l’immigration illégale en sanctionnant plus lourdement les passeurs et marchands de sommeil qui font du malheur humain un business lucratif. Enfin, sur l’angle répressif, il faut faciliter le retrait des titres de séjour et le prononcé de mesures d’éloignement à l’encontre des étrangers ne respectant pas nos lois. Sans oublier de miser comme je le mentionnais juste avant sur une mise en œuvre effective des décisions d’éloignement (OQTF).

Ce projet de loi est examiné dans un contexte très particulier après l’attentat terroriste commis à Arras. À quel point cela perturbe-t-il votre travail ?

- L’assassinat du professeur Dominique Bernard a plongé notre pays dans une vague d’émotion qui, bien évidemment, impacte le travail que mène chaque parlementaire de France. Ce triste événement a une fois de plus mis en exergue les défaillances d’un système qui constitue une véritable passoire à de dangereux individus. À titre personnel, je crois que nous devons aux familles des victimes d’agir et que loin de nous perturber, ces décès doivent devenir le carburant d’un sursaut nécessaire si on veut siffler le coup d’arrêt de la spirale infernale dans laquelle nous nous trouvons. Plus que jamais, il est temps de faire preuve de courage et de prendre les mesures nécessaires. C’est pourquoi, avec les Républicains, nous allons bien plus loin en lançant une pétition nationale face à l’immigration incontrôlée et en proposant une réforme constitutionnelle qui permettrait de décider qui on accueille et qui on refuse. Cette réforme, examinée en décembre au Sénat, prévoit de limiter chaque année, par un vote au Parlement, le nombre d’étrangers accueillis sans qu’aucune jurisprudence fondée sur des traités ou des conventions internationales ne puisse s’y opposer ; de faciliter les expulsions des étrangers en situation irrégulière et ceux menaçant l’ordre public et de mettre un terme aux dérives de l’asile en instruisant les demandes à l’extérieur de nos frontières.

Propos recueillis par Sébastien Guiné

Cet entretien a été réalisé le mardi 7 novembre, avant la réécriture de certains articles au Sénat.

Photo de Une : Alexandra Borchio-Fontimp ©Sénat

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