Point sur la Vaccination

Point sur la Vaccination HPV (HumanPapillomaVirus), par le Pr Emmanuel BARRANGER

À l’occasion de la journée mondiale de sensibilisation autour des maladies HPV induites 2024 ce 4 mars 2024, le Pr Emmanuel BARRANGER, Chirurgien Oncologue, Professeur des Universités – Praticien Hospitalier (PU-PH) et Directeur Général du Centre Antoine Lacassagne (CLCC Nice Fédération
Unicancer) propose un point sur la Vaccination HPV (HumanPapillomaVirus).


Le Pr Emmanuel Barranger est Chirurgien Oncologue, Professeur des Universités – Praticien Hospitalier (PU-PH) et Directeur Général du Centre Antoine Lacassagne (CLCC Nice Fédération Unicancer) ©DR

En février 2023, le Président de la République avait annoncé une mesure exceptionnelle pour septembre 2023 : la mise en place d’une campagne de vaccination contre les virus HPV gratuitement accessible à toutes les classes de 5e des collèges français. 
Cette vaccination ne serait pas obligatoire et resterait soumise à la nécessité d’un accord parental.

À la faveur enthousiaste de cette mesure, il était déjà à objecter l’insuffisance et les chiffres stagnants de cette couverture vaccinale en France depuis des années, en comparaison à nos voisins européens. 
Elle se situait alors à 37 % pour les filles et 9 % pour les garçons. Le 3e plan cancer 2014-2019 fixait un objectif de 60 %. 
Force est de constater que la nouvelle stratégie nationale de lutte contre le cancer 2021-2030 reposant sur le tryptique : prévention, dépistage et recherche, se veut particulièrement ambitieuse dans ses orientations et fixe désormais un objectif de 80 % à horizon 2030.
Est-ce bien raisonnable ?


Aujourd’hui, à date anniversaire de cette annonce, en cette journée de sensibilisation mondiale autour des maladies HPV induites, quel bilan provisoire pouvons-nous tirer de cette campagne vaccinale ?

La réalité des chiffres de la vaccination dans les Alpes Maritimes au 4 Mars 2024 (chiffres fournis par la Direction de la santé des Alpes Maritimes)
 Au total 1 688 élèves ont été vaccinés sur 83 établissements durant cette campagne de première dose dans les Alpes Maritimes.
 Les équipes de la Direction Santé du Département 06 avaient en gestion 29 collèges (35% du nombre total d’établissements) et ont vacciné 637 élèves (soit 38%).
 Le taux de vaccination est de 14,5% sur les Alpes Maritimes (17% dans les établissements à la charge du CD06) et 13,7 % sur PACA.
Si notre région est dans la moyenne nationale (17 % en Nouvelle Aquitaine et Bourgogne Franche Comté, 11 % en Grand Est et Bretagne), nous ne pouvons que déplorer l’insuffisance préoccupante de cette couverture vaccinale en France d’un point de vue santé publique. 

Si la vaccination des filles reste prioritaire, la vaccination des garçons est un nouveau levier.  
Le principe d’immunité de groupe s’applique à la vaccination contre les HPV. L’efficacité du vaccin contre l’infection HPV étant très élevée, il est possible d’envisager d’interrompre la circulation des types de virus inclus dans le vaccin par une forte couverture vaccinale. 
L’infection HPV étant la seule cause du cancer du col, ce cancer pourrait donc disparaître de la population.  

L’ambition annoncée du gouvernement était une vaccination de 30 % des collégiens sur l’année scolaire 2023/2024 (soit 150 000 adolescents sur 800 000 élèves de ce niveau scolarisés dans les établissements publics et privés sous contrat) : indéniablement cet objectif ne sera pas atteint.
Les médecins interrogés déplorent le trop de précipitation dans la mise en place de cette campagne vaccinale, un manque d’adhésion de l’Education Nationale, l’impossibilité matérielle de pouvoir aller à la rencontre des parents lors de réunions d’information et une nécessité d’adaptation des outils d’information parfois trop complexes indispensable dans ces problématiques vaccinales de santé publique.

Mais quels sont les véritables adversaires identifiés dans ce combat ? ? 

L’adhésion insuffisante du grand public au dépistage et campagnes de prévention 

Le premier de tous, condition sine qua non, pour nous amener à des objectifs si ambitieux reste l’adhésion aux campagnes de prévention et de dépistage
Comparativement aux autres pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la France accuse un retard patent en matière de prévention, tout particulièrement dans le domaine du cancer. 
De surcroît, la gestion de la crise sanitaire et le pilotage erratique des réformes en financement de santé ont accentué le déficit de crédit accordé par les Français aux politiques de santé des gouvernements. 

La stratégie décennale se doit alors d’induire un changement de paradigme dans la façon d’appréhender la prévention comme une priorité en promouvant des campagnes de sensibilisation et d’information plus modernes et attractives et surtout d’impulser la notion essentielle « chacun doit être acteur de sa santé  » 
La levée des freins psychologiques inhérents, allant à l’encontre des objectifs des politiques de santé publique, est à prioriser : peur, gène à l’égard de la localisation, non perception du risque d’infection HPV, méconnaissance des maladies HPV, craintes vis-à-vis des effets indésirables, absence de perception du bénéfice de la vaccination à court terme, facteurs d’inégalité (niveau d’éducation, CSP, culture…) 
 
Un vrai travail de pédagogie et de renfort de communication par les pouvoirs publics est attendu afin de promouvoir avec efficience la prévention du cancer par la mobilisation de tous les acteurs territoriaux : comprendre, éduquer aux risques parents, adolescents et surtout professionnels de santé et engendrer une prise de conscience selon laquelle le risque jugé lointain de survenue d’un cancer peut être évité dès à présent en se faisant vacciner. 
 

Le défi de promouvoir une vaccination filles et garçons dès 11 ans face au poids de l’hésitation vaccinale, exception française 

 
Faire vacciner son enfant dès 11 ans, c’est garantir une plus grande efficacité de ce vaccin, un des rares existant contre le cancer.  
 
La confiance dans cette vaccination chez les moins de 16 ans est le véritable enjeu en France, pays le plus vaccino-sceptique au monde. 
Le premier enjeu pédagogique sera de décorréler cette vaccination de la perception d’un vaccin « d’entrée à la vie sexuelle ». 
Mère de la vaccination, la France en est aussi son plus grand détracteur, le vaccin contre le Covid-19 fait émerger une nouvelle population de sceptiques représentant 50% de la population. 
À ces facteurs contextuels s’ajoute une singularité française bien connue des sociologues obtenue après des décennies d’événements (Hépatite B, H1N1) ? : la défiance à l’égard de l’État la plus élevée d’Europe occidentale sous tendue par une défiance à l’égard du « Big Brother » politique couplée à celle « Big pharma » économique  
En ce sens, la défiance vaccinale traduit un manque de confiance dans les institutions chargées de garantir la santé de chacun et parait être un véritable frein malgré une efficacité et sécurité cliniques formellement démontrées du vaccin. 
Les vaccins contre les cancers sont extrêmement rares : la vaccination contre les HPV ?est l’une des seules vaccinations existantes contre les lésions précancéreuses et les cancers.  
Si la prévention du cancer du col de l’utérus par la vaccination anti-HPV apparaît tout à fait logique, étant donné la forte protection que confère celle-ci contre les infections, l’efficacité vaccinale contre le cancer lui-même vient d’être formellement démontrée depuis la publication en 2020 de Lei Je et al.

Cette très faible couverture vaccinale en France éloigne les perspectives de l’éradication du cancer du col contrairement à d’autres pays 

À la France de relever ce défi de l’éradication du cancer du col de l’utérus en mettant en jeu tous les leviers nécessaires au déploiement de cette vaccination. 
Promouvoir la confiance et investir dans les personnels soignants afin d’optimiser la santé publique de demain au travers de la prévention, de la lutte contre les inégalités sociales de santé car des populations vulnérables engendrent des systèmes de santé vulnérables quand une crise survient. 
Pour exemple, l’Australie semble être le premier pays à atteindre cet objectif avec son fort taux de couverture vaccinale grâce à une vaccination scolaire : en 2017, soit 10 ans après le début de la campagne nationale de vaccination, 89 % des filles et 86 % des garçons avaient déjà reçu une dose de vaccin à 15 ans. Le taux de personnes infectées par les HPV est passé de 22,7 % en 2005 à 1,5 % en 2015. 
Rappelons que statistiquement parmi les 500 élèves d’un collège de taille moyenne, en l’absence de vaccination, 2 filles se verront diagnostiquer au cours de leur vie un cancer du col de l’utérus et 2 garçons auront un cancer de la sphère ORL  

Photo de Une DR et courtesy Centre hospitalier La PALMOSA