IAA de Munich- Audi Concept-C — la ligne claire retrouvée


Economie


24 septembre 2025

Le regard d’Audrey Seguin, automotive designer, sur les dernières tendances de l’IAA 2025, Munich


Par Audrey Seguin automotive designer

Préambule — l’école de la ligne claire (Thomas & Schreyer)

L’histoire moderne du design Audi s’écrit vraiment à la fin des années 90, quand Freeman Thomas sous l’impulsion de Peter Schreyer formalise plus qu’un style : une méthode. Leur TT n’est pas une silhouette à copier, c’est une grammaire. Ils partent de l’ordre plutôt que de l’ornement : proportions maîtrisées, volumes lisibles, et cette conviction simple que l’objet doit se comprendre en trois secondes — la lecture à distance qui signe une marque. Dans leur studio, on pose d’abord des maquettes en clay pour caler les rapports de masses — hauteur de ceinture, porte-à-faux, cab-rearward —, puis on “pèse” chaque rayon comme une décision d’ombre, avant d’écrire les sections (les couples) afin que la lumière glisse sans grimacer. Le résultat n’est pas une “déco” : c’est un objet tenu, qu’on regarde autant avec la main qu’avec l’œil.
Même logique à bord : pas d’empilement de gadgets, mais une orchestration de l’usage — commandes nettes, graphisme parcimonieux, matériaux honnêtes ; l’écran règle la conduite, il ne fait pas le show. Chez eux, les quatre anneaux ne sont pas un autocollant, mais une syntaxe : clarté de la géométrie, cohérence extérieur/intérieur, continuité des lignes, contrôle des jonctions.

Ce protocole — masses, sections, lumière, détails, puis seulement la signature — a mieux résisté au temps que n’importe quelle mode. C’est précisément cette boussole que le Concept-C rallume.

© audi-mediacenter

Bauhaus appliqué à l’automobile

Présenté en avant-première à la presse à Milan, puis dévoilé au public à l’IAA de Munich, ce coupé compact s’impose comme un rappel à l’ordre. Je n’y étais pas mais les articles et reportages m’ont interpellé. J’ai donc pris le temps d’analyser les photos et les vidéos parues ici et là, de comparer les angles, de lire les reflets — bref, de me faire une première conviction avant, je l’espère, de livrer un avis “à chaud” au contact du véhicule en réel.
J’observe ce coupé comme on lit un dessin à l’encre : sans hachures inutiles, sans contours criards, juste des décisions nettes. Le Concept-C ne cherche pas à « faire moderne  » ; il réapprend à être juste. Deux places, un toit sobre, un galbe maitrisé : l’objet s’impose par la discipline de ses proportions. Ce qui me frappe d’emblée, c’est l’abandon des surenchères qui ont encombré l’ADN d’Audi ces dix dernières années — faces durcies, nervures bavardes, prises d’air grimées en ponctuation. Ici, on revient à la grammaire essentielle : un rapport de masses cohérent, des surfaces pleines qui accrochent la lumière une fois, une lecture immédiate du volume sans effet de manche. L’auto ne quémande pas l’attention, elle la mérite.

© audi-mediacenter
Lire en complément : IAA 2025, Munich — Intérieurs « plein écran » : quand la beauté du pixel rencontre la vérité de la route

On prononce le nom TT et l’air change

La filiation n’est pas un collage de détails ; c’est une éthique née comme on l’a dit du travail du travail d’équipe emmené par Freeman Thomas sous la direction de Peter Schreyer : géométries claires, volumes lisibles, ornement minimal, cohérence totale entre extérieur et intérieur. Le TT originel ne se contentait pas d’être minimaliste : il organisait le regard. Le Concept-C rejoue ce contrat moral sans pastiche : une assise posée qui évite la lourdeur, une ligne de caisse tenue comme une respiration, une ceinture de vitrage mesurée qui ajuste le poids visuel. On ne « refait » pas le TT ; on retrouve son exigence — organiser la lecture avant d’ajouter des effets —, ce Bauhaus appliqué à l’automobile : peu de formes, beaucoup de sens.

Par résonance, le fantôme de la R8 traverse le cadre — non pour réclamer des sideblades, mais pour rappeler une attitude : un objet monolithique, posé bas, gouverné par la technique plus que par le théâtre. Le Concept-C parle ce langage sans emphase : aérodynamique d’abord, transitions nettoyées, refus des gadgets qui vieillissent vite. C’est une Audi qui retient sa voix pour mieux la porter : moins de cris graphiques, plus de portée. Comme un chanteur qui projette loin en maîtrisant son souffle plutôt qu’en forçant, le dessin gagne en justesse à mesure qu’il gagne en retenue.

Le message l’emporte sur le bruit

En designer, je commence par les proportions. Le Concept-C semble découpé dans le bloc : porte-à-faux courts, voies généreuses, cab-rearward mesuré. La face, enfin redressée sans caricature, met fin au masque agressif et remet la fonction au centre : prise d’air pensée, cadre de calandre franc, signature lumineuse qui dit au lieu de crier. Le flanc, d’un seul pli tendu puis apaisé, montre qu’on peut sculpter sans acrobaties. À l’arrière, un plan de fuite clair, sans gymnastique d’appendices : la carrosserie raconte l’air sans le surligner. Ce qui domine, c’est la cohérence : on ne juxtapose pas des effets, on relie des causes. Le message l’emporte sur le bruit.

© audi-mediacenter

L’habitacle suit la même ligne morale. J’attends d’une Audi silence et hiérarchie, pas un show permanent. Ici, l’écran s’efface quand il n’a rien d’utile à dire ; les commandes vitales restent physiques là où la mémoire de la main fait gagner des secondes ; la lumière d’ambiance structure sans distraire. Le mobilier ne cherche pas l’effet ; il affirme une géométrie lisible qui laisse la route au premier rôle. C’est un choix d’attention autant que de style : on n’est pas là pour « gamifier » la conduite, mais pour rendre l’action évidente. Les meilleurs intérieurs numériques savent se taire ; celui-ci semble l’avoir compris.
Ce que le Concept-C change pour Audi tient en une remise à plat. L’identité recommence par l’assise, non par la calandre ; la stature précède la signature. Une surface vaut parce qu’elle a une intention, pas parce qu’elle multiplie les facettes. Les prises d’air, ruptures et plis ne s’invitent que lorsqu’ils servent l’aérodynamique, le refroidissement ou la tenue. Côté interface, le pixel intervient quand il aide, le bouton quand il fait gagner du temps ; la hiérarchie jour/nuit doit rester limpide. L’objectif, au fond, est qu’on reconnaisse une Audi à trente mètres à ses masses et à sa tenue, non plus à un gimmick lumineux de saison.
Que doit promettre la suite, au-delà du concept ? S’il passe en série, je n’attendrai pas des citations de musée. J’attendrai la rigueur : tolérances qui tiennent, reflets maîtrisés, matériaux honnêtes, et surtout cette frugalité expressive qui transforme un beau dessin en bel objet. Audi n’a pas besoin d’un autre gimmick lumineux pour exister ; elle a besoin d’aligner perception, fonction et geste. C’est là que le Concept-C m’intéresse : il rétablit l’équation qui avait glissé quand la marque s’est perdue dans une complexité caricaturale, presque bande dessinée — et il pose des bases neuves.


Je referme sur la maxime qui cadre tout le projet. La formule “form follows function” naît en architecture chez Louis Sullivan (1896) ; dans l’univers Porsche, Ferdinand Alexander Porsche en proposera une lecture plus équilibrée : Form Equals Function — la forme et la fonction ne font qu’un.
Ici, ce n’est pas un slogan : c’est une méthode. La forme égale la fonction quand les proportions servent la tenue, quand les surfaces servent l’air, quand l’interface sert l’attention. Le reste — l’effet, la démonstration, la virtuosité — ne vaut que s’il découle de cette égalité. Si Audi tient ce fil jusqu’au modèle de série, le Concept-C ne sera pas un clin d’œil au TT ni un écho de R8 ; il sera l’Audi qui remet la maison d’équerre, en rappelant qu’un dessin juste n’a pas besoin d’élever la voix pour qu’on l’entende longtemps.
© audi-mediacenter


Audrey Seguin