IAA 2025, Munich — Intéri

IAA 2025, Munich — Intérieurs « plein écran » : quand la beauté du pixel rencontre la vérité de la route

À travers les press kits, les démos et quelques retours d’atelier, l’IAA dessine une tendance nette : le pixel devient matière, l’écran architecture. Magnifique, à condition que l’ergonomie garde la main — et que l’attention du conducteur ne paie pas la facture.


Par Audrey Seguin automotive designer

J’observe ces cockpits comme on lit un paysage : non plus une tablette posée sur une planche, mais la planche elle-même qui devient image. Les rubans d’affichage s’étirent d’un montant à l’autre, les HUD (Heads up Display – affichage tete haute) colonisent la base du pare-brise, les OLED s’affinent et s’incurvent jusqu’à disparaître dans les volumes. L’industrie a appris à faire du pixel une texture, et cette intégration change tout : les reflets se domptent, les raccords cessent de crier leur présence, la technologie ne semble plus ajoutée mais coulée dans la masse. En tant que designer, je vois là un moment charnière : on quitte la juxtaposition de fonctions pour composer un tout — la surface active devient façade, l’interface devient ambiance, la mise en scène devient identité.

Ce basculement, séduisant, impose d’autant plus de responsabilité. Un écran attire, capte, retient — c’est sa nature. Une voiture exige l’inverse : simplifier la décision, raccourcir la lecture, libérer le regard pour la route. L’équilibre se joue dans des secondes, parfois des dixièmes : combien de temps pour baisser la température, dégivrer, changer de piste ? Combien de gestes et de validations pour une action réflexe autrefois exécutée sans quitter la route des yeux ? L’interface totale est irrésistible à l’arrêt ; en mouvement, chaque couche brillante peut devenir une couche de charge cognitive. Là se niche l’éthique du design : préférer l’intention à la démonstration, la lisibilité au spectacle, la hiérarchie au foisonnement.

Dans les images et comptes rendus, une convergence apparaît

Les meilleurs projets ne montrent pas plus : ils montrent mieux. Les bandeaux hauts replacent vitesse et guidage dans le cône naturel de vision et réduisent la danse des focales entre route et console ; la nuit, des gradations locales bien réglées et des thèmes sombres réellement sobres font la différence entre un salon lumineux et un cockpit fatigant. Je vois aussi revenir, presque soulagé, un petit rail de commandes essentielles — volume, désembuage, warnings — qui redonnent à la main sa mémoire et au regard son horizon. Cette hybridation n’est pas un aveu de faiblesse, c’est la maturité du numérique  : sortir du dogme « tout-écran » pour retrouver une grammaire mixte où chaque mode d’interaction est choisi pour la qualité de son geste, pas pour la démo du stand. L’écran reste magistral là où il excelle — cartographie, contenus riches, personnalisation, assistance augmentée —, mais il s’efface avec élégance quand la route réclame l’évidence d’un bouton, la fermeté d’un cliquet, l’assurance d’une molette.

À noter aussi ce mouvement de fond : les constructeurs historiques reviennent aux bases, à la culture automobile — proportions lisibles, interfaces hiérarchisées, commandes essentielles préservées —, là où Tesla et consorts poussent une culture « smartphone » adaptée à l’automobile : grand écran central, couches logicielles omniprésentes, gestuelle importée du mobile.

Mercedes MBUX Hyperscreen | mise en scène « plein écran » - Spectaculaire par nature, l’Hyperscreen convainc quand hiérarchie lumineuse et dimming nocturne sont maîtrisés : l’image sert la route, pas l’inverse. © Mercedes-Benz Media

Deux visions coexistent

La première part de l’objet automobile et y greffe le numérique avec mesure ; la seconde transpose d’abord l’univers du téléphone puis adapte la conduite autour. Mon intuition de designer est simple : la route ne pardonne pas l’ambiguïté. Plus l’auto s’approche d’un smartphone géant, plus elle doit compenser par une ergonomie impitoyable. Les “historiques” semblent l’avoir compris : ce qui compte n’est pas l’étendue du menu, mais la vitesse du geste juste.

Le style, ici, est affaire de dosage. Un grand panneau peut assagir la planche, allonger l’empattement perçu et clarifier l’espace ; mal hiérarchisé, il transforme la nuit en théâtre bavard. La clé, c’est la lumière domestiquée : gradation fine, contrastes contenus, cinétique douce. De même, l’intégration des dalles — affleurantes, légèrement flottantes ou franchement encastrées — ne tient que si les joncs, les tolérances, les rayons de bord et la qualité des affleurements racontent la même exigence. L’illusion se brise au premier raccord mal tenu. Un intérieur se juge autant à ses reflets qu’à sa ligne : la façon dont un ombrage glisse, dont un joint s’efface, dont une texture capte un liseré — tout compte pour que l’objet respire l’évidence plutôt que l’effort.

Reste la tentation de « gamifier » l’habitacle

Je n’y vois pas une fatalité, mais un biais : transformer l’action de conduire en suite de récompenses visuelles détourne l’attention et alourdit la charge mentale. Un bon cockpit numérique sait choisir ses moments : dense et riche à l’arrêt, discret et parcimonieux en mouvement. La route doit garder le premier rôle, l’écran faire sa mise en scène — jamais l’inverse. Dans ce sens, la vraie modernité n’est pas de multiplier les couches : c’est d’oser se taire quand il faut.

CUPRA Tindaya | alternative sensorielle - Chez CUPRA, l’émotion ne vient pas que du pixel : orientation vers le conducteur, textures techniques, lumière dirigée pour une lecture rapide et incarnée. ©CUPRA mediaCenter

J’en retiens trois règles simples pour 2026

Eyes-up  : tout ce qui bouge en conduite doit remonter au bandeau haut ou au HUD, pas se perdre sur la console. Boutons là où c’est vital : le réflexe gagne des secondes que l’écran prélève. Contrat de lumière : plafonds de luminance, transitions lentes, hiérarchie claire jour/nuit.
Ces principes ne sont pas un recul ; ils sont la condition de la beauté, parce que la beauté d’un objet d’usage naît de ce qu’il sert sans détour.

On me demande si le divertissement à bord, l’infotainment en tête, est contre-productif. Il l’est dès qu’il oublie la mission. Une voiture n’est pas un salon sur roues : c’est un espace d’action, un lieu de décisions brèves et répétées, un outil qui doit transporter des personnes avec sérénité et, si possible, avec émotion. L’émotion ne naît pas de la profusion mais de la disponibilité : un regard qui comprend d’un coup d’œil, un geste qui ne sollicite pas la conscience, une voix qui guide sans s’imposer. Si l’ère software-defined joue un rôle, c’est d’éditer l’instant, pas de le saturer ; de choisir quand enrichir (à l’arrêt, côté passager) et quand retirer (en roulage).

J’aime citer l’architecte Louis Sullivan pour form follows function ; dans l’univers Porsche, Ferdinand Alexander Porsche en a proposé une lecture plus équilibrée : Form Equals Function ( la forme égale la fonction). Dans un habitacle « plein écran », cette formule vaut boussole : la forme est la fonction lorsqu’elle préserve l’attention, hiérarchise l’information et laisse la route au centre du cadre. Et si l’on veut un repère classique, volontiers attribué à Ferrari ou Bugatti, il rappelle l’essentiel : «  Une voiture, c’est quatre roues, un moteur, un pilote. » Quelles que soient la taille des écrans et la finesse des pixels, nous dessinons d’abord un objet pour rouler, décider vite, protéger, émouvoir avec justesse.

L’élégance naît moins de l’addition que de la sélection : un bandeau bien placé, une lumière domptée, trois gestes sûrs — voilà des pixels qui tiennent parole. Retirer ce qui distrait, magnifier ce qui aide, et laisser le pilote… piloter.

Visuel de Une : BMW Panoramic iDrive | bandeau A-à-A / “eyes-up” - Le bandeau Panoramic iDrive place vitesse, guidage et états ADAS dans le champ de vision utile : regard recentré, charge cognitive réduite pour plus de sérénité. © BMWGroupPressClub