Entreprises pour la Cité : « Notre fil rouge, attirer et fidéliser les talents »


Economie


9 juin 2023

Rencontre avec Élisabeth Fuchs, la directrice régionale Sud-PACA de l’association

L’association fondée il y a près de 40 ans a élargi son champ d’action, au gré des évolutions sociétales, et se concentre aujourd’hui sur les difficultés de recrutement, comme l’explique Élisabeth Fuchs, la directrice régionale Sud-PACA.

Pouvez-vous nous rappeler l’origine du réseau ?

- Les Entreprises pour la Cité sont une association loi 1901, créée en 1986 par Claude Bébéar, le fondateur d’Axa. Son ambition était de réunir des dirigeants et des dirigeantes d’entreprise autour du mécénat citoyen, humanitaire. On était en 1986, c’était les années chômage, Les Restos du Cœur, Coluche. M. Bébéar avait fondé AXA, société d’assurance très portée sur l’humain, et il disait que les entreprises se porteraient d’autant mieux si la société se portait bien. C’est cette logique de gagnant-gagnant : je donne et je reçois. A l’époque on parlait surtout de mécénat, on ne parlait pas de responsabilité sociale d’entreprise (RSE). Les chefs d’entreprise connaissaient plus le mécénat culturel et l’idée de M. Bébéar de soutenir l’humain était très innovante. Avec son carnet d’adresses, il a rapidement embarqué d’autres dirigeants de sociétés, de grandes sociétés du CAC40 au départ. Progressivement, l’association s’est développée sur l’ensemble du territoire, avec d’abord une antenne à Lyon, en 2001. Je suis arrivée en PACA en 2007 pour lancer l’activité à Nice puis à partir de 2008 à Marseille. Ensuite nous avons ouvert des antennes à Strasbourg, Bordeaux et Nantes.

Comment s’est déroulée l’installation dans la région ?

- Ce qui est intéressant c’est que ce sont des chefs d’entreprise de la région, qui travaillaient avec nous à Paris, qui nous ont sollicités pour que l’on vienne sur le territoire. À l’époque, j’étais salariée à Paris et on nous disait que ce que nous faisions à Paris était très bien mais qu’il fallait s’ancrer sur les territoires.

Eugénie Rochin, cheffe de projet des Entreprises pour la Cité, et Élisabeth Fuchs, directrice régionale Sud-PACA. ©S.G

Nous avons ici un territoire très riche, très dynamique, avec des envies de s’investir très fortes. Cela a aussi été inspirant pour nous. Nous avons apporté notre savoir-faire et nous avons aussi pu faire remonter des initiatives du territoire au niveau national, même parfois au niveau européen. Nous avons eu de belles histoires, notamment avec la société Convers Telemarketing. Philippe de Gibon et Anne Cagnard ont largement contribué à l’essaimage des sujets de la diversité : la Charte de la diversité, l’emploi des seniors, l’emploi des femmes de retour de congé parental...

Comment aidez-vous les entreprises locales ?

- Nous mettons en place de groupes de travail inter-entreprises, avec des personnes qui ont la même fonction dans les entreprises, des dirigeants, quand la société est de petite taille, ou des responsables de ressources humaines, de la RSE ou de la communication. L’idée est de partager les expériences sur une thématique, de partager ensuite les solutions ou de trouver ensemble une solution par rapport à une problématique. Nous parlons de cycle d’inspiration, lorsque l’on fait intervenir une personne inspirante qui va témoigner, ou de cycle d’exploration, quand nous avons tous les mêmes problématiques et que nous essayons ensemble de trouver des solutions.

Sur quel cas concret travaillez-vous actuellement ?

- Nous travaillons dans une logique exploratoire sur les sujets de santé mentale. Nous avons des idées, des expériences, mais nous n’avons pas toujours toutes les solutions donc nous essayons, avec les entreprises du réseau plus avancées, de partager des façons de faire, de tester des organisations, de façon à ce que les autres entreprises puissent en bénéficier. Nous venons d’organiser un challenge santé mentale où nous proposons aux entreprises de présenter leurs projets et ensuite de les faire connaître.

Quels sont les autres sujets pour les entreprises ?

- Aujourd’hui nous avons une vraie problématique, et c’est notre fil rouge, attirer et fidéliser les talents. Les entreprises n’arrivent plus à trouver suffisamment de candidats et de talents pour leurs postes à pourvoir. Le sujet est assez vaste et assez complexe. C’est aussi lié aux choix d’orientation des jeunes. Nous avons trois sujets sur lesquels nous travaillons : l’égalité des chances dans l’éducation et l’inclusion numérique ; l’emploi et la diversité dans l’entreprise ; et le mécénat et les investissements citoyens. Le mécénat et les investissements citoyens était notre premier sujet de travail en 1986. Ensuite, nous sommes allés vers la diversité et l’emploi. Le sujet de l’éducation est apparu dans les années 2010 et il nous occupe beaucoup aujourd’hui parce qu’on se rend compte que les problématiques dans les entreprises sont souvent des problématiques sociétales, systémiques, qui s’inscrivent dès l’école. Il y a des entreprises, pour des métiers en tension ou dans des secteurs scientifiques et techniques, qui ne trouvent pas suffisamment de candidats parce que les jeunes ne s’orientent pas assez vers ces métiers. Et il y a un vrai problème de mixité car les femmes s’orientent à 50 % dans seulement 12 des 87 familles de métiers. Ensuite, le Covid a reposé la question de la relation des salariés et des candidats à l’entreprise. Aujourd’hui, tout le monde raisonne global : ma vie ce n’est pas que mon travail, c’est aussi mon bien-être, ma santé, mes relations sociales, ma familleLe contrat entre l’entreprise et les salariés est revu, c’est très déstabilisant pour les chefs d’entreprise et les managers. Et ce n’est pas tout de les attirer, il faut aussi les garder. Il n’y a pas que la rémunération, il y a également les questions de management, de reconnaissance, de confiance, d’organisation du travail. C’est pour cela qu’il est important de bien former les managers. Là-dessus nous avons peut-être un temps d’avance en ayant travaillé sur les sujets de diversité et d’inclusion. Nous pouvons anticiper de nouvelles questions, partagées par tous, sur l’équilibre de vie, le bien-être, la relation à l’entreprise. Il faut arriver à manager des équipes qui ont des problématiques diverses et arriver à faire fonctionner de façon efficace l’entreprise. C’est très enthousiasmant mais c’est plus difficile.

Est-ce que vous vous entourez parfois de spécialistes ?

- Nous avons fait dans les années 2010 toute une série de guides sur les stéréotypes, liés au genre, au handicap, à l’âge… Ces études étaient financées par le Fonds social européen et nous avons fait intervenir des chercheurs en neurosciences. Au départ, avec nos entreprises, nous avons travaillé sur la question des organisations, des process, sur ce qui, dans la façon de travailler, dans nos outils, générait de la discrimination. Les entreprises ont revu leurs process, de manière à ne plus poser de questions discriminatoires par exemple. Mais on s’est rendu compte que cela ne suffisait pas. On constatait des discriminations systémiques, des stéréotypes partagés, du fait qu’on était tous les véhicules d’une certaine vision liée à notre culture. C’est de là que sont nés ces guides qui nous ont ensuite permis de développer des formations auprès des collaborateurs, afin de les armer sur les sujets de la diversité qui sont très vastes. Aujourd’hui il y a 25 critères de non-discrimination (genre, âge, nationalité, opinions politiques, syndicales…). Il est difficile pour un manager ou un RH d’être expert sur tout. Toutes les entreprises de plus de 300 salariés doivent former leurs responsables RH et leurs managers à la non-discrimination de façon à ce que les entretiens de recrutement et d’évolution de carrière des collaborateurs soient réalisés de façon non discriminatoire.

Comment choisissez-vous vos sujets ?

- Comme nous sommes sur des sujets sociétaux, tout type de sujet qui émerge peut devenir un sujet pour nous. Il faut que cela corresponde à un besoin d’entreprise et que cela soit partagé. Nous leur soumettons l’idée, en leur disant que nous entendons telle ou telle chose. Généralement, on ne tombe pas à côté et ils nous disent qu’ils connaissent la problématique. Soit on trouve des entreprises qui l’ont déjà traitée, et souvent on en trouve, soit on pose les choses ensemble et on travaille collectivement. Nous évoluons avec la société, nous sommes passés du mécénat à un monde durable.

Un événement sur « l’employeurabilité » le 27 juin


En tant qu’animateur du club des Alpes-Maritimes de la communauté « Les Entreprises s’engagent », les Entreprises pour la Cité organisent, avec de nombreux partenaires, un événement consacré à « l’employeurabilité », mardi 27 juin à Nice, au Centre universitaire méditerranéen (CUM). Il y aura d’abord un job dating classique à l’attention « de tous les candidats du département », de 16h à 18h, puis une pièce de théâtre forum, « Un employé nommé désir », de 18h à 20h. « Ce n’est plus l’employabilité par les candidats mais l’employeurabilité par les entreprises et les chefs d’entreprise, qui sont aujourd’hui moins désirables aux yeux des candidats. Ces derniers se demandent : pourquoi je viendrais ?  », relève Élisabeth Fuchs. «  Les comédiens vont interpeler les spectateurs sur les temps d’échange au moment des entretiens de recrutement et sur le management au quotidien, avec toutes les erreurs et tous les malentendus que l’on peut voir dans l’entreprise. C’est très drôle ». La communauté Les Entreprises s’engagent compte 101 clubs en France, dont celui des Alpes-Maritimes. Ils mettent en place « toute une série d’actions pour une société inclusive et un monde durable. C’est vraiment la RSE au sens global. Nous abordons des sujets de transition énergétique, de sobriété énergétique, de mobilité durable… », souligne la directrice régionale des Entreprises pour la Cité. Les autres partenaires de l’événement du 27 juin sont Pôle Emploi, le Pacte civique, la Métropole Nice Côte d’Azur, l’ANDRH, Cap Emploi 06, la CCI Nice Côte d’Azur et l’UPE 06. « Tous les acteurs économiques sont là et nous avons pour ambition de remplir le CUM  ».

Bientôt 20 ans pour la Charte de la diversité



La Charte de la diversité, qui compte aujourd’hui 5 000 signataires (dont une centaine dans le département), entreprises ou organisations, fêtera l’année prochaine ses 20 ans. « C’est une initiative qui a été impulsée par Claude Bébéar et Laurence Méhaignerie  », raconte Élisabeth Fuchs. « Au départ, il y avait 33 entreprises signataires, plutôt des grands groupes, et progressivement, d’autres employeurs ont signé la Charte sur tout le territoire français. Aujourd’hui, on a 80 % de PME et 20 % de grandes entreprises. On a beaucoup de structures publiques, le monde associatif… Il y a aussi des cabinets de conseil et de recrutement. D’autres pays européens se sont inspirés de la charte française. Aujourd’hui, nous avons 25 chartes au niveau de l’Europe avec un travail collaboratif. Ce n’est pas juste de la non-discrimination, l’idée est de chercher la diversité comme levier de performance économique. C’était vraiment la logique de M. Bébéar : bien sûr il ne faut pas discriminer mais si vous cherchez la diversité, vous allez avoir un temps d’avance sur les autres, parce que vous serez plus créatifs, plus innovants, vous allez savoir mieux manager… Je dis souvent que c’est un plan d’actions. Et c’est un signal très positif vis-à-vis des candidats. Un candidat peut se dire : l’entreprise a signé la charte de la diversité, a priori on va bien me recevoir, avec toutes mes spécificités ».

Les six engagements de la Charte (extraits) : sensibiliser et former nos dirigeants et managers (…) ; promouvoir l’application du principe de non-discrimination (…) ; favoriser la représentation de la diversité de la société française (…) ; communiquer sur notre engagement (…) ; faire de l’élaboration et de la mise en œuvre de la politique de diversité un objet de dialogue social (…) ; évaluer régulièrement les progrès réalisés (…).


Sébastien Guiné