Actualité Littéraire (...)

Actualité Littéraire avec la librairie Quartier Latin : Extrême Extrême-Orient

Le Nouvel An Chinois approche et nous aurons
sans doute encore l’occasion de vous
chanter les auteurs méconnus, l’ouverture
lente et progressive de ce pays-continent à
l’expression littéraire, le prodigieux bond
en avant d’une économie sans laquelle le
monde ne tournerait plus (et en tout cas ne
téléphonerait plus beaucoup). Mais en attendant
le temps des fastes, et en marge de
tous les livres qui nous vantent les mérites de
l’Empire du Milieu , de ses méthodes éducatives,
et qui nous apprennent l’art de vivre
chinois, voici d’autres livres qui appellent
quand-même à une réflexion, juste un peu,
historique.

Voici par exemple « Stèle », un best seller
qui prend en revue la catastrophe humaine
qu’a été à la fin des années 1950 « le grand
bond en avant », justement. Tous les travers
de la mécanique du pouvoir semblent s’être
donnés rendez-vous pour aboutir à une hécatombe
de 36 millions de morts par famine
– un chiffre qui dépasse l’entendement, mais
à partir de combien de zéros sommes-nous
dépassés, insensibilisés, lobotomisés ? La
ferveur révolutionnaire stupide, la veulerie
des sous-chefs à tous les niveaux, épouvantés
de rapporter à leurs supérieurs les conséquences
des décisions aveugles prises par
le grand timonier et sa « clique » . Ce qui
distingue ces livres d’essais comparables,
c’est qu’il vient du dedans, qu’il est écrit par
un chinois, et que sa rédaction n’a pu commencer
que depuis 1989 (souvenez-vous de
Tienanmen…).

« La révolution n’est pas un dîner de gala »,
avons-nous lu dans le petit livre rouge (recueil
officiel des pensées de Mao pour les
foules, à l’intention des générations n’ayant
pas connu le maoïsme à l’état romantique).
Eh bien la formule est reprise en guise de
titre d’un-roman-récit de Philippe Videlier que
Gallimard publie dans la collection Blanche,
tout un symbole. C’est en quelque sorte la
même histoire, racontée côté Cour. L’histoire
de l’hypocrisie politique, l’histoire de tant
d’hommes broyés par l’hybris de quelques
puissants, l’histoire (gardons-nous des parallèles
historiques) de héros de la Résistance
qui deviennent eux-mêmes les pires oppresseurs.
Si la Chine ne devenait pas aujourd’hui
l’axe autour duquel tourne le monde, nous
pourrions ranger ces livres sérieux à l’écart,
avec ce qui fait d’ordinaire la propagande
politique, la réécriture de l’Histoire, son
écriture par les vainqueurs ou tout justement
l’aveuglement procédant de son contraire, la
cécité des combats idéologiques. Mais non.
C’est de l’Histoire immédiate d’une superpuissance
que nous parlons. Et la question
qui demeure est celle-ci : comment un peuple
aussi vaste peut-il digérer une histoire aussi
noire en devenant le maître du Monde (ce que
l’Union Soviétique n’est jamais devenue). Et
quelles conséquences pouvons-nous en tirer
pour la suite de l’Histoire, qui, contrairement
à ce qu’espérait/déclamait Fukushima, n’est
clairement pas arrivée à son terme.

En marge à ces grandes fresques historiques,
voici enfin une histoire étonnante, abracadabrante,
qui sera sans doute très vite transformée
par un Spielberg quelconque en opus
hollywoodien . Naître dans un camp de
concentration est déjà peu commun. En sortir
grâce à la dénonciation et la mise à mort
de sa propre mère est proprement horrifiant.
En réchapper dans une Chine communiste
considérée comme une libération, proprement
époustouflant. Le tout est une histoire
à côté de laquelle « la grande Evasion »
joue les séries C. C’est de Corée du Nord
que nous parlons ici, sans doute, après la
« normalisation » cambodgienne, le pays le
plus inhumain du Monde. Dépendance de
la Chine, ce pays rassemble en un seul faisceau
tout ce que l’humanité a pu produire de
plus avilissant… et la fuite miraculeusement
réussie de Shin Dong-Hyuk nous en donne un
des rares récits, lui aussi venant du dedans.

Ce livre, comme les deux précédents, se
lit avec le vertige. Un vertige nauséabond,
dont aucune grande pensée politique ne sort
indemne.

deconnecte