Actualité littéraire : (...)

Actualité littéraire : retour du cauchemar

Son premier roman lui a valu d’emblée le prix
Médicis Etranger, en 2010. Et après « Désolations
 » qui, comme le premier, mais de
manière fort différente, avait élu domicile et
théâtre sur une île d’Alaska, on croyait David
Vann définitivement estampillé en auteur du
mal-être polaire. Que nenni. Avec « Impurs »
David Vann nous revient en Californie, avec
un roman fait de soleil et de poussière, de
mais toujours axé sur la force obsessionnelle
et cauchemardesque du fait divers.

Car, finalement, c’est de cela qu’il s’agit
chez David Vann, et sa marque de fabrique
est bien là. Il y a les maîtres du suspens, les
artistes du fantastique, les conteurs du présent
et les reporters du passé. David Vann, lui, est
l’explorateur du cauchemar de nos comportements
quotidiens.

Il faut cent pages d’exposition minutieuse
cette fois pour que le roman bascule et qu’on
retrouve ce qu’on aime tant chez Vann : sa
capacité d’introspection, de radiographie de
l’esprit ordinaire, quand il tourne dans l’horreur.
Pour un peu, ses histoires pourraient
toutes nous arriver, et nous avons tous fait des
cauchemars similaires à ce qui chez David
Vann devient une reconstruction lancinante de
tout ce qui précède, explique, mène et signe
le fait divers incompris.

Cette fois nous avons là un adolescent mal
dégrossi qui se nourrit de Khalid Gibran et
d’autres méditations de pacotille, entouré
d’une matriarchie étouffante : une mère poule,
une tante cynique, une cousine aguicheuse et
une grand-mère qui perd la mémoire.
David Vann a cet art de se mettre dans la tête
d’un personnage et de nous emmener insensiblement
sur la pente du dérapage. On part
dans un quotidien à la limite de la banalité,
de l’ennui (et ici l’ennui est un sujet en tant que
tel du récit) et lentement on se retrouve dans la
tête de quelqu’un dont on lira plus tard avec
horreur les crimes dans les journaux. Mais ce
crime, ce dérapage, cette perte de repères,
on l’a vécue de l’intérieur et elle en devient du
coup logique et inévitable. Ce que le lecteur
de chiens écrasés taxera d’incompréhensible
coup de folie, le lecteur de David Vann en
aura compris l’enchaînement, diabolique ou
pervers, ou juste malheureux.

Nous savons maintenant que lire du Vann
n’est pas à recommander aux âmes sensibles :
pour celles-là il y a Gavalda et Foenkinos. Inévitablement,
cela se terminera mal. Ce n’est
donc pas ce qui arrivera (et dans Sukwan
Island nous le savions dès le second chapitre)
qui compte, c’est la manière dont cela arrive :
la façon non spectaculaire, imperceptible de
glissement vers l’issue, et la sueur froide qui
nous prend, c’est la pensée : non, pas moi,
pas nous, pas dans ma famille.

Car le théâtre des romans de David Vann est
la famille. Les non-dits, les rancunes tenaces,
les « impardonnabilités » cachées, bref, ce
qui fait la face obscure de toute « famille ».

Avec des effets minimaux, David Vann nous
remue l’esprit autant que d’autres grandiloquents
avec leurs grosses ficelles. C’est cette
modestie de moyens qui fait la grandeur de
Vann et qui le place au centre de la littérature
américaine d’aujourd’hui.

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