"Barbara" de Mathieu (...)

"Barbara" de Mathieu Amalric

Ni biographie, ni documentaire ! Il s’agit du tournage d’un film sur Barbara au fil de ses célèbres chansons, de Nantes à Göttingen. A la fois réalisateur et acteur (il interprète le cinéaste), Mathieu Amalric fait se confondre l’actrice et son personnage. Anciennement sa compagne et sa partenaire dans les films d’Arnaud Desplechin, Jeanne Balibar joue l’actrice qui joue Barbara. Elle s’est exercée durant plus d’un an (surtout au piano) pour le rôle de composition de l’illustre chanteuse, morte il y a tout juste 20 ans.

On pourrait dire que c’est un film sur le double tant la ressemblance entre l’actrice et la chanteuse est délicieusement troublante, dans la façon de parler comme dans les gestes. Et dans le chant aussi, avec les envolées mélodiques inoubliables, tout en arabesques.

Même regard surligné, même chevelure de geai, même visage émacié, même démarche féline.

Cette mise en abîme sophistiquée d’un film sur le tournage d’un film donne une grande liberté à Mathieu Amalric pour sa septième réalisation où il campe un réalisateur admiratif, habité par la chanteuse et entouré de portraits d’elle sur tous les murs. Un piano, une voix, cigarette au bec (des gitanes), des plumes ou une fourrure : on la retrouve, folâtre et perfectionniste dans ses tournées de la période seventies, avec les rappels et les attentes d’un public qui ne partait pas. La construction en flash-back nous invite dans chaque scène à fusionner avec l’absente, tellement présente. L’utilisation de quelques images d’archives vient ajouter à la confusion entre réel et fiction mêlés. Le vrai et le faux s’embrouillent.
Comment parler de cette voix exaltée ? Comment transmettre l’émotion épidermique qu’elle procure ? Comment exprimer ce talent singulier, unique, inimitable, de cette « longue dame brune » ?
Actrice atypique et inclassable par son jeu décalé, Jeanne Balibar occupe le rôle principal et joue autant avec son magnétisme qu’avec une ressemblance physique incroyable. Laquelle est laquelle ? Le mystère reste entier. De plus, grande admiratrice de Barbara dès son enfance, elle retrouve le timbre de la chanteuse lors de toutes sortes d’enregistrements intégrés à la fiction.

Au fil des envoûtantes chansons, la confusion entre Jeanne Balibar et Barbara ne cesse donc pas.


Elle n’est pas une copie, mais le double. Elle n’interprète pas la diva fantasque, mais elle la réinvente en créant l’intimité d’une évocation, sans chercher l’imitation ou la ressemblance physique (même avec faux nez et maquillage). En multipliant les jeux de miroirs, l’incarnation est totale dans les traits, dans les gestes, dans la façon d’occuper l’espace. Son personnage du film, l’actrice nommée Brigitte, se démultiplie pour une évocation plutôt qu’une imitation de Barbara. Elle fredonne ses chansons sans que l’on sache laquelle chante, Jeanne Balibar ou Barbara. Elle ne la copie pas, ne l’imite pas, mais l’incarne de manière étonnante jusque dans ses chansons modulées comme elle, avec toute l’excentricité qui lui était spécifique. Faisant revivre Barbara, les admirateurs de la chanteuse sont subjugués de la retrouver vivante, capricieuse, séductrice, marginale, magnétique, givrée, folle à souhait... Le spectateur a la chair de poule et son ventre se noue. Le film est hanté par le fantôme de la chanteuse. « Dis, quand reviendras-tu ? ». Elle est revenue.

Dans ce tableau sonore et visuel, le spectateur voit de la poésie en images plutôt qu’une biographie.

Mathieu Amalric exprime ainsi son rejet du biopic, trop souvent exploité à coups d’imitations et de linéarité. Il prouve son désir d’un cinéma audacieux, à la fois émouvant et d’avant-garde, avec des séquences sans narration, mais qui en disent long par davantage de poésie qu’un classique biopic.
Le film a d’ailleurs obtenu le « Prix de la poésie » de la section « Un Certain Regard » à Cannes, prix décerné pour la première fois et sans doute créé à son intention.
Sympa, non ?

Caroline Boudet-Lefort

Sortie nationale en salles le 6 septembre 2017

Photo de Une : Jeanne Balibar - Copyright Waiting For Cinéma 2017 / Photo : Roger Arpajou Ina - Je suis né à Venise - 1977 Réalisation Maurice – Barbara et Philippe Lizon

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