Les bibliothèques publique

Les bibliothèques publiques passent à l’ère numérique

Lire la presse en ligne ou se former à l’anglais depuis chez soi... certaines bibliothèques publiques pionnières le proposent déjà à leurs adhérents. A l’heure du numérique, le réseau français des 16 300 lieux de lectures s’interroge sur l’évolution de sa mission.

La transition numérique qui bouleverse le monde de l’édition questionne aussi le service de la lecture publique. Celui-ci s’organise, en France, autour d’un réseau très dense de quelque 16 300 lieux de lectures, pour l’essentiel gérés par les collectivités locales. Ce 9 avril, à Paris, les professionnels de ce domaine se sont réunis lors d’un colloque consacré au numérique, « l’adaptation des offres des biblio/médiathèques, conserver une valeur ajoutée globale, les stratégies ». La journée était organisée par la mission Ecoter, qui regroupe collectivités locales et industriels des technologies.

Aujourd’hui, « la place des ressources numériques dans les bibliothèques reste assez modeste », introduit Nicolas Georges, chargé de la Direction du service du livre et de la lecture au ministère de la Culture et de la Communication. Concrètement, un peu moins d’un quart des bibliothèques proposent des ressources numériques. Mais il y a deux ans, elles n’étaient que 13%. Le changement est initié, montrent les sillons creusés par plusieurs pionnières, dans les domaines de la numérisation de leur fonds, de mise en accès à distance de ressources numériques, de prêt de livres électroniques, voire, de médiation au numérique auprès du public...

Ce 9 avril, parmi les pionnières, figure la bibliothèque municipale de Lille, composée d’un réseau de 9 médiathèques. Déjà, ses 22 000 abonnés peuvent lire la presse, ou regarder un film via Internet, connectés depuis chez eux . « Nous sommes dans les questions numériques depuis 1997 (…). Avec les évolutions d’aujourd’hui, on ne change pas de monde. On reste dans la question de l’accès à la culture, et connaissance, et son appropriation par le public », estime Laure Delrue-Vandenbulcke, directrice adjointe de l’établissement. En 2010, la direction a mis sur pied plusieurs projets ambitieux : la numérisation des contenus de la bibliothèque patrimoniale a été accélérée. Tout internaute, même s’il n’est pas inscrit à la bibliothèque, peut les consulter en ligne. Par ailleurs, les documents physiques destinés au prêt ont été équipés d’une puce électronique. Progressivement, les 9 médiathèques vont ainsi proposer plusieurs services aux usagers, comme la possibilité de rendre leur ouvrage 24h/24, via des automates de prêt. Et les e-book vont être bientôt testés.

Servir à distance... et sur place

A la bibliothèque du Chesnay, dans les Yvelines (30 000 habitants), la conversion au numérique a démarré il y a plusieurs années, et les expériences évoluent en fonction des usages. En 2010, par exemple, naissait l’espace multimédia. Aujourd’hui, la bibliothèque propose une offre numérique à distance. « Notre offre est intégralement accessible à distance. Sur place, cela ne fonctionnait pas », témoigne Véronique Poyant, directrice de la bibliothèque. Vidéo à la demande, presse, soutien scolaire, cours de langues... Les usagers se sont emparés de cette offre. Sur place, la bibliothèque n’en n’est pas moins équipée d’une cinquantaine d’ordinateurs et d’un réseau de fibre optique, indispensable. « Cela représente un investissement important en matériel », commente Véronique Poyant. Car la médiation au numérique auprès des publics, constitue un autre enjeu auquel se confronte cette bibliothèque, également tête de réseau EPN, Espace public numérique. Y sont proposés des stages de formation pour apprendre à utiliser son ordinateur, une formation Facebook, un apprentissage aux montages vidéos...

Autre expérience encore, à Rueil-Malmaison (80 000 habitants), en proche banlieue parisienne. Ici, la médiathèque a fait partie d’un projet de renouveau global de la ville au début des années 2000. Conçue comme un lieu de vie, la bibliothèque compte, en plus des espaces classiquement dévolus à la lecture, un café, un atelier informatique, un auditorium... Comme au Chesnay, la bibliothèque évolue en fonction des usages. L’espace télé équipé d’un grand écran pour visionner des DVD, a aujourd’hui disparu. Après une période de succès, c’en est fini, avec le développement de l’équipement des ménages en lecteurs DVD. Les six cabines où l’on pouvait suivre un apprentissage en langues sur des CD-ROM ont également été reconverties. « A présent, des formations en onze langues sont accessibles à distance. Sur place, la rentabilité des abonnements était très discutable. (…) Les ressources à distance fonctionnent énormément et de mieux en mieux », explique Béatrice Branellec , responsable informatique et numérique à la bibliothèque. Et la bibliothèque soigne sa présence en ligne, avec un site officiel et plusieurs blogs. Les usagers peuvent même accéder à des services via leur smartphone. « Cela marche très bien », note Béatrice Branellec, qui prévoit d’autres expérimentations, comme le prêt de livres numériques. Le numérique in situ n’est pas pour autant oublié : les usagers munis de leur code d’abonné peuvent accéder à divers services, comme l’accès à l’imprimante.

« Conquérir d’autres publics »

Pour tous ces pionniers, la formation et la motivation des agents au numérique constitue un enjeu de taille. A Lille, la formation a été intégrée au plan de formation, dès les années 2012 et 2013, et continue de l’être. « C’est important. Au départ, l’équipe n’avait pas forcément de compétences numériques fortes. Nous sommes en formation permanente », confirme Véronique Poyant, pour le Chesnay, où deux des 14 permanents sont dédiés au numérique, même s’ils mènent aussi d’autres missions. Outre la transformation de leur mission, l’adhésion des agents est d’autant plus importante que la conversion au numérique se fait à budget constant, soulignent les pionniers. A Rueil-Malmaison, aujourd’hui, le volet numérique représente 16 000 euros, soit 10% du budget. C’est 23% du budget acquisition du Chesnay, et 24% de celui de Lille. Un « choix volontariste », explique Laure Delrue -Vandenbulcke, pour qui « l’enjeu est de maintenir la bibliothèque comme lieu privilégié d’accès à la culture.(...) Et c’est aussi de conquérir d’autres publics ». Au ministère de la Culture, Nicolas Georges promet une implication de l’Etat dans cette évolution. En sus des « contrats numériques », prévus dans le cadre de la Dotation générale de décentralisation, et du label « bibliothèque numérique de référence », déjà en place, les équipes d’Aurélie Filippetti travaillent, notamment, à la mise en place d’ un « cadre contractuel », avec les acteurs du secteur, pour permettre le déploiement de prêts de livres numériques, aujourd’hui balbutiant.

Visuel : © Rodrigo Galindez

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