Petit paysan, de Hubert

Petit paysan, de Hubert Charuel

La vie d’un jeune éleveur laitier s’organise autour de sa ferme, ses vaches laitières, sa soeur vétérinaire et ses parents retraités. Déjà qu’il bataille contre un monde invisible qu’est le progrès, voilà que déboule une tuile énorme : une de ses vaches est frappée d’une maladie pernicieuse qui l’obligerait, au nom de ce satané principe de précaution, à abattre tout le troupeau. Il décide de sauver, coûte que coûte, son exploitation, et refuse de voir disparaître ce qui est l’amour de sa vie.

Le réalisateur sait de quoi il parle ! Fils unique d’agriculteurs, il était destiné à reprendre la ferme parentale, là même où le film a été tourné, maintenant que le lieu n’est plus exploité. Hubert Charuel a préféré faire du cinéma et s’est lancé dans une histoire d’amour entre un homme et ses animaux, avec l’idée d’ancrer un thriller dans le monde paysan, en le montrant sous un angle encore jamais abordé au cinéma.

Lieu de production tout autant que lieu de vie, l’exploitation d’une ferme signifie une vie de labeur où il faut se lever tôt tous les jours de l’année avec la traite matin et soir, sans vacances.

Tant pis si c’est dur, le « petit paysan » est passionné, coincé par un lien affectif avec ses vaches et par une rage de survivre. C’est le monde auquel il est attaché, car il aime ses vaches. Chacune possède un nom, et il accepte leurs différents « caractères ». Aussi, lorsque l’une tombe malade, se profile l’inexorable : il faudra abattre tout le troupeau. Il tue la vache en catimini et fait croire à sa disparition. C’est le premier mensonge d’un engrenage qui donnera au film ses allures de thriller. Avec des événements parasitaires à la Hitchcock, l’abattage de la vache devient un véritable meurtre.
L’abattre est une tragédie pour lui. Une tragédie qui retentit avec intensité et pudeur, s’imposant dans notre agriculture mondialisée, responsable de la lente agonie de la campagne française. Les agriculteurs sont de plus en plus dépendants des grands groupes commerciaux et leur travail n’a plus le même sens que par le passé. Le « petit paysan » tente de résister comme il peut face à la violence des inégalités contemporaines. La ferme prend toute la vie : on s’occupe des vaches, on parle de vaches, on rêve de vaches. Le film commence par une séquence onirique qui jette le spectateur dans cet univers.

Comment oser la fiction, quand la réalité est si peu connue du commun des mortels ?

Porté par le personnage du « petit paysan », le film l’est aussi par son interprète, Swan Arlaud, un nouveau venu saisissant. Il est entouré de Sara Giraudeau (parfaite) et de nombreux non professionnels, dont la mère, le père, le grand-père du réalisateur. Tous sont parfaitement habités par leurs personnages. Il faut ajouter la présence photogénique des vaches avec leur masse énorme de 900 kilos.

Le trait est épuré dans ce film appliqué, presque démonstratif, en ouvrant au spectateur un univers dont, en tant que citadin, il connaît mal les difficultés, même s’il écoute les infos, où il voit bien les monceaux d’oeufs cassés, les poules supprimées, les vaches abattues pour fièvre aphteuse ou histoire de « vache folle »... Tous ces événements, encadrés d’autres nouvelles tragiques, restent lointains, abstraits.

Dans ce film, on y est ! Seule manque l’odeur !

Ce qui est beau dans ce premier long-métrage, c’est qu’il dépasse les caractéristiques sociologiques pour capter un moment universel et déchirant. Jouant avec le motif de la paranoïa pour en faire le moteur de la narration, Hubert Charuel construit un film tout à la fois palpitant et instructif. Une sorte de brèche dans la perpétuation résignée du système qui ne cesse de dévorer les plus faibles. Il réalise un film sur l’effondrement des rêves, mais aussi sur la farouche volonté de survivre et de maintenir sa ferme avec son troupeau de vaches.
Sans être ni militant ni politique, mais plein d’énergie, « Petit paysan » donne à réfléchir sur beaucoup de problèmes actuels. Nous l’avons dit, c’est une histoire d’amour entre un homme et ses animaux.
Caroline Boudet-Lefort

Photo de Une : le petit paysan incarné par Swann Arlaud (DR)
Sortie nationale en salles le mercredi 30 Août 2017

deconnecte