Prix littéraires

Prix littéraires

Voilà, nous en avons à peu près fait le tour. Depuis le 21 septembre, Livres-Hebdo a dénombré pas moins de 107 prix littéraires attribués. Tout cela pour quelques 570 sorties de roman… De quoi relativiser l’intérêt de ces jolies petites bandes rouges qui viennent ceinturer les romans de l’automne – valorisant si joliment vos cadeaux de Noël.

Eh oui, car une étude à peu près sérieuse publiée ces jours-ci révèle –ô surprise- que le livre est cette année le cadeau préféré des Français. Sans qu’il soit bien clair s’il s’agit des Français qui donnent ou qui reçoivent… L’année dernière le livre émargeait encore au dixième rang.

Il y a là comme un air du temps puisque depuis quelques semaines une des librairies indépendantes de Nice (Quartier Latin pour ne pas la citer) vous propose, sur le mode des listes de mariage, de déposer votre liste de vœux sur internet ou dans le magasin afin que vos proches et amis puissent être sûrs de vous offrir le livre qui vous plaira. Manière subtile et créative de ramener l’achat du livre là où il devrait rester : à la librairie.

Il y a bien sûr de quoi se réjouir, sachant que l’édition, en France comme dans le monde, et la vente du livre passent par une crise sans précédent avec des taux de régression de deux chiffres dans la plupart des librairies, qui sont et seront les premières victimes de cette évolution. En mai, une étude gouvernementale prédisait que dans les cinq prochaines années une librairie sur trois allait devoir fermer. Et qui pourrait se réjouir si dans quelques années internet devait devenir le seul moyen de se procurer un livre, et encore, à 90 % de part de marché, au profit d’une seule multinationale américaine actuellement sous le coup de poursuites en France pour avoir grugé l’Etat de plusieurs centaines de millions d’impôts et de TVA.? Par les temps qui courent il y a des patriotismes qui se justifient….

Revenons-en aux Prix. Si j’étais parti pour vous proposer quelques-uns de ces prix littéraires comme suggestion de lecture prioritaire ou de cadeau particulièrement précieux, cette profusion sans précédent me ferait vite rabattre mon quinquet. Mais pire : la production littéraire de cet automne est sans relief et dans la masse des propositions médiocres ou inabouties, les jurys n’ont su picorer et mettre en avant ni l’original ni l’œuvre qui fera date.
Attardons-nous cependant sur les deux stars du moment : « La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert » du Suisse francophone Joël Dicker dont c’est le second roman (22€, prix de l’Académie Française, et prix Goncourt des étudiants) ainsi que « Le sermon sur la chute de Rome » de Jérôme Ferrari (19 €, prix Goncourt). Le premier, en un fort volume, nous offre une enquête policière prétexte d’une subtile « réflexion » sur l’auteur et la genèse de l’œuvre. Cet aspect a fortement impressionné la presse, qui y voit une sorte de tour de force, un génial exercice de style – il ne faut plus grand-chose pour titiller la culture littéraire de nos plumitifs culturels. Bon, c’est une bonne lecture pour le coin de cheminée, cela s’étire dans une prose dont on s’étonne qu’elle ait impressionné l’Académie et ce sera, plus tard, une idéale lecture de plage. N’empêche qu’en guise d’intrigue policière il y a quand même mieux à tous les coins de rue. C’est donc un livre « tout public », ce qui veut dire que même les hommes y toucheront. Cadeau universel, sans risque…
«  Le sermon sur la chute de Rome », qui tire son titre très artificiellement de la citation en fin de récit d’un texte de Saint Augustin, dont on ne voit d’ailleurs pas vraiment le rapport avec le roman, est un volume plutôt frêle, qui compense sa relative brièveté (208 p) par une forte densité de texte. Sans pour autant devenir rébarbatif, le Français, tel que le cultive Ferrari, est charpenté, rugueux, subtil, musclé. Son histoire est une saga familiale corse, qui se joue, se noue et se déchire autour d’un bar, dans un de ces villages archétypiques dont on aime pourvoir la Corse par dizaines. Le recours aux flashbacks peut paraître un peu pénible, mais il s’agit d’une lecture souvent jubilatoire pour ce qui est de l’écriture – ce qui n’est pas le moindre mérite de ce roman « régionaliste ».
Et donc ? Que mettrez-vous sous le sapin ? Si vous ou le bénéficiaire avez du sang corse, la question ne se pose évidemment pas. Mais Jérôme Ferrari sera aussi le choix de ceux qui envisagent la lecture comme une sorte de gourmandise et le jury du Goncourt a fait là, de ce point de vue, un choix courageux. Joël Dicker plaira mieux à tous ceux qui aiment dans la lecture être pris à la gorge, entraînés dans un suspense qui maintient le livre dans vos mains et il ne rebute pas non plus du fait de son écriture simple et directe. Jérôme Ferrari pour le style, Dicker pour l’histoire, voilà un résumé extrême.

Et pendant ce temps, quel est le roman qui se vend le mieux ? Eh bien c’est « Cinquante teintes de Grey », la mièvre bombe érotique, le premier porno pour dames. Comme quoi il n’y a pas que des surprises dans ces choses-là et votre libraire a encore un vrai rôle à jouer pour vous guider vers des livres plus précieux, plus pointus, plus goûteux…

"La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert" : http://www.quartier-latin.fr/978287...
"Le sermon sur la chute de Rome" : http://www.quartier-latin.fr/978233...]

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