Rentrée littéraire : (...)

Rentrée littéraire : faut-il s’y mettre ?

Découvrez la chronique littéraire de Daniel Schwall, réalisée en collaboration avec la librairie Quartier Latin pour notre journal Les Petites Affiches des Alpes-Maritimes.

Dans un blog de « Libération » qui me tombe sous les yeux ces jours-ci, Raphaël Sorin dépeint sa lassitude devant le cirque médiatique autour de la rentrée littéraire. Et je me sens si bien en accord avec lui que je vais vous en donner ma version, de la lassitude. Lassitude, état d’âme, petite déprime à titres divers.

La rentrée littéraire, déjà. Ce terme était naguère réservé aux professionnels. Comme les gens de télévision on forgé le terme (impropre) de « access primetime » (tiré du primetime access américain, trop long à expliquer ici) ou de « fiction » (pour désigner un téléfilm, ce terme ayant été déprécié, les gens du livre ont laissé s’échapper vers le grand public leur notion de rentrée, qui ne fait que désigner la compétition qu’ils se livrent pour les prix littéraires, eux-mêmes concentrés sur la période d’automne afin de dynamiser les ventes de décembre. A tel point que Gallimard sort maintenant ses bestsellers auto-désignés avec des bandeaux portant la mention générique « rentrée littéraire ». Et Grasset l’a suivi. Et Stock. Comme s’il s’agissait d’un genre littéraire nouveau. Ce qui est peut être vrai. Comment expliquer sinon que pour la première fois Djian ( « Ohh… ») nous gratifie d’un opus, ni mieux ni pire que les précédents, mais clairement destiné à concourir pour une breloque cette fois. Et la critique de se précipiter sur ce « sommet de son art », « inédite acuité du regard » et je vous en passe. Christine Angot, elle, nous gratifie d’ « une semaine de vacances » (qu’elle n’a pas mis bien plus longtemps à rédiger, mais qui n’est qu’une resucée laborieuse de « l’inceste », épisode malheureux de sa vie qui la fait qualifier d’inventrice (disons plutôt « introductrice en France ») du genre « autofiction », comme si de tous temps les écrivains ne faisaient de leur vécu personnel la matière première des plats qu’ils nous concoctent. Et on crie au génie alors que cela sent furieusement le surf éhonté sur la vague du porno « chic » qui nous vient d’une piètre productrice de télé anglaise qui se prend pour J.K. Rowling. Ce n’étaient que deux exemples cités pour justifier la notion de chronique littéraire qui doit justifier mes pauvres élucubrations bimensuelles. Pour ne pas me limiter au navrant exercice annuel d’Amélie Nothomb.

Lassitude aussi d’un exercice qui ne laisse pas le choix. Le chroniqueur peut choisir de parler d’un livre qui ne fait pas partie du lot des objets à promouvoir pour lesquels moult attachées de presse lui ont mâché le travail. Quand son media lui laisse ce choix. Mais pour cela il faut faire parte d’une mouvance quasi surréaliste, et accepter de se priver de toute résonance. Il peut aussi choisir de « descendre » un livre richement promu par ailleurs. Mais pour cela, il faut faire partie de la fine équipe du « masque et la plume » de France Inter – et finalement donc se faire adouber au préalable par l’élite de ces jacasseurs mondains. Et, pour prendre une autre cible (car j’adore quand même le masque) faire des Mots , des mots au superlatif, comme François Busnel en fait commerce tous les jeudis dans son école buissonnière de la Cinq (en reprenant, en malaxant, en étalant jusqu’à la nausée une réplique délicieusement absurde de Bernard Pivot, « les livres nous regardent ». Ah oui, il y a une thèse à faire sur le regard des livres, du haut de leur bibliothèque, sur nous, pauvres humains. Ledit Pivot, ébahi, s’est pourtant laissé prendre au jeu de la magnification jusqu’à l’absurde d’une pauvre petite saillie de salon mondain.

Pour en venir enfin à mon propos. Laissez là les « rubriques littéraires ». Dédaignez les magazines qui se targuent de savoir à votre place ce qu’il faut lire (et s’il vous faut pouvoir briller dans les dîners en ville, contentez-vous de leurs chroniques surgonflées, ou de la mienne, cela suffit amplement pour parler d’un livre qu’on n’a pas lu à une assistance qui ne lit rien). Mais pour votre plaisir, allez dans une librairie digne de ce nom, ou, si vos moyens sont très limités, dans une bibliothèque, et flânez, feuilletez, laissez-vous attirer par un titre, une couverture, un coup de cœur de libraire, foncez dans l’énorme aventure de la lecture tant qu’il en est encore temps (essayez donc de faire cela au fin fond de l’Amazonie littéraire ou sur votre tablette numérique). L’accès à ces lieux de découverte, de voyage mental, est encore gratuit, et cela vaut bien une exposition de peinture ou un concert. Et ramenez chez vous une trouvaille, qui prolongera et exaltera votre surprise, ravissement, extase. Vous aurez pris en main votre vie littéraire. Vous serez libre. Vous pourrez recommencer quand vous voudrez.
Et toujours pour ne pas vous sevrer trop vite de la recommandation savante, pourquoi pas celui-ci : Notre-Dame d’Alice Bhatti, roman, par Mohammed Hanif (traduit de l’Anglais), 355p, Editions des Deux Terres, 22,5€. Un livre dont je ne vous dirai rien de plus. Mais je vous en aurai parlé. Etes vous curieux(se), maintenant ?

Laissez donc ces chroniques littéraires. D’ailleurs je vais arrêter d’en faire. Je vous attends. Partons.

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