L'exigence de formalisme

L’exigence de formalisme de la lettre de licenciement poussée à l’extrême

Pour comprendre pourquoi le Code du travail (article L. 1225-4) prévoit qu’une salariée peut être licenciée, hors la période de congé de maternité, si l’employeur justifie de son "impossibilité de maintenir le contrat de travail pour un motif étranger à la grossesse ou à l’accouchement".

Par Maître Timothée HENRY Avocat au Barreau de Grasse - CABINET CAPSTAN SOPHIA ANTIPOLIS

Cette notion pour le moins floue a amené les juges à devoir préciser que cette impossibilité de maintenir le contrat de travail ne pouvait résulter que de circonstances indépendantes du comportement de la salariée, tel que celles tenant à la vie de l’entreprise, à sa situation.

Aussi, dans la grande majorité des cas, le motif de licenciement "étranger à la grossesse ou à l’accouchement" ici invoqué est généralement d’ordre économique, comme la suppression du poste ou la réorganisation de l’entreprise.

Par un arrêt récent en date du 3 novembre 2016, la Cour de cassation a eu l’occasion de se prononcer, cette fois, sur l’hypothèse particulière d’une salariée enceinte déclarée inapte physiquement à tout emploi dans l’entreprise en un seul examen avec mention d’un danger immédiat.

L’inaptitude physique d’une salariée dont le reclassement est impossible constitue-t-il un "motif étranger à la grossesse", au sens de l’article L. 1225-4 du Code du travail, permettant de procéder à son licenciement, au même titre que le motif d’ordre économique ?

En l’espèce, la Cour de cassation a implicitement répondu par l’affirmative. Aucun élément ne permettait effectivement de constater qu’il existait un quelconque lien entre la grossesse de la salariée et son inaptitude physique, laquelle résultait d’un syndrome anxio-dépressif suite à un précédent accouchement d’un enfant sans vie.

Toutefois, si une salariée enceinte peut ainsi être licenciée suite à son inaptitude physique à tout poste dans l’entreprise, encore faut-il que la lettre de licenciement précise que l’employeur s’est trouvé être dans l’impossibilité de maintenir le contrat de travail pour un motif étranger à la grossesse.

Le seul fait de préciser que cette "décision (de licenciement) est la seule conséquence de l’inaptitude physique (de Mme) X… constatée médicalement par l’autorité compétente" n’est pas suffisant.
La lettre de licenciement doit, en outre, expressément faire état de l’impossibilité de maintenir le contrat de travail pour un motif étranger à la grossesse, même si cela paraît évident au regard de la situation.
Si cette mention particulière n’apparaît pas, la Cour de cassation considère que l’employeur ne respecte pas les dispositions de l’article L. 1232-6 du Code du travail l’obligeant à énoncer le ou les motifs de licenciement.
Et, la sanction de ce manquement est la nullité du licenciement, comme ce fût le cas en l’espèce.

Ce formalisme très rigoureux imposé par la Cour de cassation est dans la droite ligne de celui déjà appliqué lorsque des motifs d’ordre économique sont invoqués.

À titre d’exemple, le seul fait de rappeler dans la lettre de licenciement que la Société est en redressement judiciaire, voire même en liquidation judiciaire, ne caractérise pas, en soi, l’impossibilité de maintenir le contrat de travail pour un motif étranger à la grossesse.

À défaut d’une telle énonciation, les conséquences financières résultant de la nullité du licenciement peuvent être particulièrement conséquentes.

En effet, la salariée qui se prévaut de la rupture du contrat (et qui ne demande donc pas sa réintégration dans l’entreprise) peut obtenir le versement :

- des indemnités liées à la rupture de son contrat de travail (indemnité légale ou conventionnelle de licenciement, indemnité de préavis, indemnité de congés payés),

- d’une indemnité réparant le préjudice résultant du caractère illicite du licenciement (article L. 1225-71 alinéa 1 du Code du travail), dont le montant est souverainement apprécié par les juges du fond, dès lors qu’il est au-moins égal à six mois de salaire,

- d’une indemnité au titre de la méconnaissance du statut protecteur lié à la grossesse (article L. 1225-71 alinéa 2 du Code du travail), dont le montant correspond au salaire qui aurait été perçu pendant la période couverte par la nullité, c’est-à-dire entre la date du licenciement et la date d’expiration du congé de maternité augmenté de dix semaines.

Ainsi, au-delà de la légitimité de la motivation de la rupture, il convient d’être particulièrement vigilant quant à la rédaction même de la lettre de licenciement !

Si une telle rigueur formelle peut trouver sa légitimité dans la protection des salariées concernées, elle renforce, une fois de plus, le sentiment d’insécurité juridique qui entoure la rupture des relations contractuelles en droit du travail.

CABINET CAPSTAN SOPHIA ANTIPOLIS
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