Les notaires veulent (...)

Les notaires veulent « tuer Balzac »

S’estimant injustement attaqués, les notaires viennent de se donner un représentant combatif, décidé à défendre les intérêts de la profession. Assumant les récentes campagnes de communication décalées, le nouveau président du notariat ne vise pas seulement les nouveaux marchés, mais aimerait que la profession échappe aux caricatures.

A 46 ans, Benoît Renaud entend rafraîchir l’image du notariat, une profession « mal aimée et décriée », explique-t-il. Elu fin octobre président du Conseil supérieur du notariat (CSN), ce notaire de Lunéville (Meurthe-et-Moselle) revendique une petite notoriété pour avoir assuré, voici quelques années, « la promotion du notariat dans des émissions de télévision ». D’un abord chaleureux et direct, Benoît Renaud, engagé dans les instances de la profession depuis son premier acte authentique, ne cache pas qu’il désirait fortement occuper cette fonction.

Cela ne l’empêche pas de respecter les usages. Présentant à la presse le nouveau bureau du CSN, Benoît Renaud a installé à sa droite le premier vice-président et, à sa gauche, le deuxième vice-président. Ce bureau composé de sept praticiens se veut, selon le nouveau président, « harmonieux », représentatif du notariat d’aujourd’hui. « Toutes les zones de France sont représentées. Certains d’entre nous dirigent des études comprenant 50 ou 60 personnes, d’autres seulement deux personnes. Nous venons aussi bien de grandes villes que de petites villes ». Le bureau du CSN ne compte en revanche aucune femme. « Le hasard des choses a fait que les deux femmes, pour des raisons professionnelles, ne souhaitaient pas prendre de responsabilités », justifie Benoît Renaud. Comme l’explique obligeamment un membre du bureau en aparté, « les femmes notaires mènent une double vie, à la maison et à l’étude. Il leur est difficile de s’engager pour la profession ».

La menace des « actes frelatés »

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Le programme que se fixe Benoît Renaud pourrait tenir en une seule ligne, la défense des intérêts du notariat. En premier lieu, il s’agit bien sûr de promouvoir l’acte authentique, dont les notaires détiennent le monopole. Grâce à sa « force probante », cet acte « méconnu » assure « la paix sociale », affirme le président du CSN. « Le taux de contestation est extrêmement faible », poursuit-il. Benoît Renaud veut dissiper le malentendu lié au vote annoncé d’une loi permettant aux avocats de contresigner un acte sous seing privé. Pour la majorité des notaires, cet « acte d’avocat », ainsi que l’appellent les robes noires, constitue une menace, au même titre que les contrats juridiques que l’on peut se procurer en ligne pour une somme modique. Le président du CSN, dénonçant « l’automédication juridique », qualifie ces derniers documents d’« actes tout faits, prémâchés, des produits frelatés ». Les futurs actes authentifiés par les avocats, qualifiés d’« actes du troisième type », ne sont certes pas aussi décriés. C’est même « sûrement une belle évolution qu’un acte reçoive la signature d’un professionnel du droit », lâche Benoît Renaud, qui réussit la prouesse d’évoquer cette question délicate sans jamais citer le mot « avocat ». Mais il ne faudrait pas en déduire que, dépourvus de l’autorité publique, ces praticiens « s’engagent comme le font les notaires », poursuit-il.
Dans les années qui viennent, le nombre de notaires devrait continuer à augmenter. « Le numerus clausus s’applique aux études, pas aux praticiens », rappelle Benoît Renaud, favorable à un développement de la fonction de notaire salarié. Aujourd’hui établi à 9100, le nombre de praticiens devrait progresser de plusieurs centaines par an, selon le CSN, au-delà de ce qui est nécessaire pour compenser le départ à la retraite des « papy-boomers ».

Campagnes décalées et buzz vidéo

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Le programme de Benoît Renaud consiste aussi à « porter haut et fier » le drapeau du notariat et c’est, on le devine, sa mission préférée. Les notaires veulent « participer aux débats de société », pas seulement lors de leurs congrès. « Nous sentons les évolutions de la société bien avant les autres », assure le président du CSN. La profession entend ainsi se faire entendre sur les questions liées à la famille et la bioéthique. Elle demeure en revanche circonspecte sur des sujets qui préoccupent les autres professionnels de la justice, comme la multiplication des gardes à vue. S’exprimant « en tant que citoyen », Benoît Renaud se contente de déplorer « l’abus de l’usage de la garde à vue et la façon dont elle est pratiquée ».
Pour améliorer l’image de la profession dans l’opinion, le notariat a lancé ces derniers mois plusieurs campagnes de publicité décalées prenant appui sur les caractéristiques généralement prêtées aux notaires. « Il faut tuer Balzac », justifie Benoît Renaud, qui garde en mémoire la description détaillée d’un praticien austère et sournois, faite voici 170 ans par le célèbre écrivain. « La veste de votre notaire est peut-être sans fantaisie. Mais au moins, il ne la retournera pas », pouvait-on lire au début de l’été sur des pleines pages publiées dans plusieurs magazines destinés au grand public. Le slogan, illustrant l’image d’une veste élimée posée sur un vieux porte-manteau, était censé prouver la permanence et la fiabilité du professionnel.
Cet automne, c’est une vidéo qui fait le buzz sur Internet. Justin Conseil, aimable quinquagénaire à lunettes perdu dans ses papiers, semble s’ennuyer dans son bureau poussiéreux. Soudain, il se met à danser sur la moquette élimée avec sa stricte secrétaire, entonnant un air de rap aux paroles soigneusement choisies pour se distinguer des avocats. Extrait : « J’ai peut-être pas la tchache des mecs en robe longue. Mais mes conseils sont fiables ; je suis incontestable ». Benoît Renaud n’ignore pas qu’un tel texte n’entre pas dans les principes de « confraternité entre les professions » régulièrement rappelés par sa ministre de tutelle, Michèle Alliot-Marie. « J’ai entendu des raps beaucoup plus hostiles à certaines parties de la société », fait-il savoir, dans une allusion à certains groupes de musiciens poursuivis pour injure ou diffamation.

Redonner le moral

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Ces campagnes de communication ne visent pas seulement les consommateurs susceptibles de choisir entre un acte authentique et un acte d’avocat. Il s’agit aussi de redonner le moral à la profession elle-même, admet le CSN. « Vous croyez que c’est agréable, quand on est clerc, d’entendre un animateur de radio railler la gestion de notaire ou la tête de notaire ? », lance Benoît Renaud. Le nouveau représentant de la profession l’admet, les notaires voudraient qu’on les aime. « C’est humain », lâche-t-il.

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