Aucun fonds de commerce

Aucun fonds de commerce sur le domaine public ne peut avoir été créé avant l’entrée en vigueur de la loi « Pinel ».

La loi n°2014 – 626 du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises dite « loi Pinel » permet, désormais, l’exploitation d’un fonds de commerce sur le domaine public à condition que le titulaire du fonds dispose d’une clientèle propre. L’article L.2124-32-1 du code général des propriétés des personnes publiques dispose, ainsi, qu’un « fonds de commerce peut être exploité sur le domaine public sous réserve de l’existence d’une clientèle propre ». Ce nouveau dispositif remet en cause une jurisprudence ancienne et établie du Conseil d’Etat qui considère qu’il est impossible de conclure sur le domaine public un bail commercial à raison du caractère précaire et personnel des titres d’occupation du domaine public

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La loi « Pinel » constitue, sur la question de l’existence d’un fonds de commerce sur le domaine public, la parfaite illustration d’une loi adoptée pour contrer un état du droit issu de la jurisprudence.

Se pose, dès lors, la question de l’application dans le temps de cette modification de l’état du droit et plus précisément la question de savoir si le Conseil d’Etat va faire évoluer sa jurisprudence sur les droits reconnus aux commerçants exerçant, avant l’entrée en vigueur de la loi « Pinel », leurs activités sur le domaine public.

Tel est l’apport d’une décision récente du Conseil d’Etat qui va considérer que le dispositif de la loi « Pinel » très favorable pour le commerçant installés sur le domaine public ne s’applique pas aux baux conclus avant l’entrée en vigueur de cette loi.

Les faits ayant donné lieu à cette espèce étaient les suivants. La société concessionnaire du service public des remontées mécaniques des communes des Houches et Saint-Gervais (Département de la Haute-Savoie) a conclu un « bail commercial » en vue de l’exploitation d’un restaurant dans les locaux d’une gare de télécabine. Ce bail conclu pour une durée de 9 ans à compter du 31 décembre 2002 a été rompu de manière unilatérale par la société concessionnaire en juin 2006. S’en est suivi un contentieux indemnitaire entre la société gestionnaire du restaurant et titulaire du fonds de commerce et la société concessionnaire qui a abouti en appel à la condamnation de cette dernière société à verser une indemnité de 363.000 euros.

Saisi en cassation, le Conseil d’Etat va appliquer à ce litige l’état du droit tel qu’issu de sa jurisprudence traditionnelle.

Il va, ainsi, rappeler qu’il était impossible juridiquement de conclure avant l’entrée en vigueur de loi « Pinel » un bail commercial sur le domaine public. Dès lors, la conclusion d’un tel bail commercial sur le domaine public constitue une « faute » de la société concessionnaire susceptible d’engager sa responsabilité. La société gestionnaire du restaurant est donc en droit, nous rappelle le Conseil d’Etat, d’obtenir une indemnité couvrant les dépenses engagées et non amorties et le manque à gagner subi sur la durée du contrat non exécuté (juin 2006 – décembre 2011).

Toutefois, se posait la question pour le commerçant d’obtenir une indemnisation couvrant la perte de son « fonds de commerce » du fait de l’absence de renouvellement de son bail commercial. De plus, et ce point est essentiel, la société gestionnaire du restaurant avait elle-même acquis ce fonds de commerce en versant une somme de 137.000 euros à un précédent gestionnaire. Et, c’est bien entendu, sur cette question qu’était attendue la réponse du Conseil d’Etat puisque ce dernier pouvait décider d’appliquer immédiatement le dispositif de loi « Pinel » et donc de reconnaître, dans cette espèce, au gestionnaire du restaurant un « fonds de commerce » indemnisable.

Toutefois, telle ne va pas être la voix choisie par le Conseil d’Etat.

De manière, il est vrai assez logique, ce dernier va se refuser à appliquer aux « situations anciennes » le nouveau dispositif issu de la loi « Pinel ».
La haute juridiction administrative va, ainsi, considérer que les dispositions de la loi « Pinel » ne sont, dès lors que la loi n’en a pas disposé autrement, applicables qu’aux « fonds de commerce dont les exploitants occupent le domaine public en vertu de titres délivrés à compter de son entrée en vigueur ». Le Conseil d’Etat en conclut donc que « l’exploitant qui occupe le domaine public avant cette date, qui n’a jamais été légalement propriétaire d’un fonds de commerce, ne peut prétendre à l’indemnisation de la perte d’un tel fonds ».

Cette solution aboutit donc à une situation assez paradoxale : le commerçant exerçant depuis plusieurs années son activité commerciale sur le domaine public ne dispose pas d’un fonds de commerce, à la différence de celui qui bénéficie d’une autorisation délivrée depuis cet été.

Par Antoine ALONSO GARCIA
Avocat à la Cour

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