Avocat : à quand le (...)

Avocat : à quand le bout du tunnel ?

Une satisfaction : le tribunal administratif de Nice a enjoint la Chancellerie d’aider les avocats à se protéger. Une inquiétude : le long ralentissement de l’activité des cabinets.

Ce n’est pas cela qui mettra du beurre dans les épinards des cabinets qui tournent au ralenti, mais que le Tribunal Administratif de Nice ait reconnu les avocats comme de "véritables" auxiliaires de justice, et non pas comme de "simples" professions libérales, est un symbole plutôt réconfortant. Dans la longue chaîne judiciaire, ils auraient donc été les seuls à ne pas avoir droit à des protections sanitaires pour exercer leur métier, c’est-à-dire la défense de leurs clients, et notamment à la Maison d’arrêt de Nice où l’on se retrouve au parloir dans de petits box version boîte de sardines ? La juridiction administrative a enjoint, sous quinzaine, la Chancellerie de dire aux robes noires la filière à suivre pour (enfin) s’équiper de masques et de gel...

Presque pas de visites en prison

Le bâtonnier Thierry Troin a donc introduit un référé-liberté. La position du l’Ordre a été défendue par Maître Narriman Kattineh-Borgnat. "S’il est normal que les masques soient réquisitionnés pour les professionnels de la santé, en revanche cela ne l’est pas que les avocats ne puissent disposer de matériels de protection suffisants. Nous avons fait d’abord une démarche amiable, qui n’a pas abouti, puis judiciaire, car les conditions à la maison d’arrêt ne permettent pas la distanciation sociale. Je ne peux prendre la responsabilité d’envoyer des confrères dans ces conditions et c’est pourquoi il n’y a plus de visites, ou presque, d’avocats à la MA" appuie le bâtonnier. "On nous a promis le téléphone et la visio en garde à vue et à la prison, mais pour l’instant il n’y a rien du tout".

Pour le peu d’audiences se déroulant au Palais de justice, l’Ordre a réussi à se procurer du gel et des gants, ainsi que des masques grâce à la mairie de Nice. "La sécurité nous a paru adéquate, et nous n’avons donc pas fait pour les juridictions d’action au TA". Les magistrats et les greffiers sont de leur côté un peu mieux lotis, mais la dotation demeure faible selon les intéressés. "Nous avons certes bien compris que la situation était compliquée, mais au bout d’un mois, on a voulu placer l’état devant ses responsabilités pour qu’il assure ses missions de service public".

La démat’ : un avantage

Pour le reste, l’activité des cabinets niçois est évidemment réduite. "Le mot d’ordre, c’est le télétravail qui permet d’assurer la sécurité. Peu de cabinets ont suffisamment d’espace pour garantir la distanciation, chacun dans son bureau. Pour tous, la dématérialisation s’avère être une bonne chose en nous permettant quand même de travailler" précise Thierry Troin qui conseille vivement aux avocats de se mettre en ordre pour être prêts à redémarrer à la reprise.
"Grâce au RPVA, les avocats ont un peu d’avance technologique sur les juridictions. Le numérique sert aux cabinets, même s’il faudra bien sûr revenir au contact direct humain lorsque les choses redeviendront normales".
Avec la grève des retraites, cela fera grosso modo six mois sans activité normale. Des cabinets ont demandé des prêts de trésorerie, comme toutes les entreprises, pour passer ce moment. "Il faut reprendre très vite pour passer un maximum de dossiers sans plaider. C’est nécessaire pour les justiciables dans l’attente, et pour l’économie de nos cabinets
".

CNB : des prévisions alarmistes pour le jour d’après

"Être en mesure de reprendre dans les meilleures conditions possibles après cette tempête". Cette préoccupation, formulée par Christiane Féral-Schuhl, présidente du Conseil National des Barreaux lors d’une visioconférence mardi, est aussi partagée par les avocats. Pour faire court, la profession navigue entre de nombreux récifs et beaucoup se demandent dans quel état ils seront lorsqu’ils rejoindront le port après le 11 mai...
"Les avocats sont en train de s’arrêter" assure le bâtonnier Jean-Michel Calvar (Nantes). "Ils sont 84% à signaler que leurs difficultés proviennent de la fermeture totale ou partielle des institutions, greffes et tribunaux, qui ne répondent pas au téléphone, pas aux mails. Nous ne pouvons plus travailler car nous sommes coupés de ces partenaires. Le RPVA, par exemple, fonctionne mal".
Si 28% des avocats annoncent leur intention de "modifier l’activité principale de leur cabinet" à la fin de cette crise sanitaire, ils sont presque autant (20%) à déclarer vouloir changer de métier. "Cela représente 28 000 avocats et nous allons au devant de grandes difficultés" s’inquiète le bâtonnier Calvar qui souligne que 22% des cabinets vont demander "des mesures de protection" et qu’autant envisagent la résiliation des contrats avec les collaborateurs libéraux.
La présidente Féral-Schuhl enfonce le clou en estimant que "les dysfonctionnements de la justice perdurent depuis longtemps" et que si le situation des cabinets est aussi délicate, cela ne relève pas seulement de la grève des retraites et de cette crise.

Visuel de Une : Le Bâtonnier Thierry Troin devant le palais de justice de Nice en Janvier 2020 (DR)

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