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CAHIERS UCEJAM : « Cybercriminalité et loyauté de la preuve », Exposé de Jean-Raphaël DEMARCHI - Maître de Conférences

Cette année 2017, l’UCEJAM - a organisé quatre conférences-débats qui ont permis d’apporter des réponses aux questions portant sur les thématiques suivantes :
-  L’expert de justice face à la cybercriminalité.
- Actualités de l’activité d’expert de justice.
- L’expert de justice face à l’expert d’assurances.
- De la réforme du droit des contrats
Nous vous proposons de retrouver l’intégralité des actes des interventions par intervenant.
Cette semaine sur le thème de la première conférence "L’expert de justice face à la cybercriminalité", nous vous invitons à découvrir l’intervention « Cybercriminalité et loyauté de la preuve », Exposé de Jean-Raphaël DEMARCHI - Maître de Conférences.

Le principe de loyauté des preuves s’est imposé de longue date en procédure pénale [1]. Or, certaines infractions sont commises plus facilement grâce à Internet. La grande difficulté de les prouver a donné à ce principe une dimension nouvelle.
À l’évidence, le développement d’Internet annonce ou autorise le meilleur aussi bien qu’il permet ou facilite le pire.
En effet, au même titre que le cyberespace a donné naissance à une nouvelle forme de criminalité (la « cybercriminalité » [2] ), il a, concomitamment, renouvelé certaines pratiques de provocation policière (la « cyberprovocation »).
Pour l’ensemble de ces raisons, il est passionnant de s’intéresser à l’exigence de loyauté sous le prisme des problématiques nouvelles issues du développement de la cybercriminalité.

Face à la difficulté de prouver des infractions de plus en plus graves ou complexes, commises grâce ou sur Internet (et souvent caractérisées par leur caractère occulte et insaisissable), il faut se demander comment le législateur a-t-il aménagé le principe de loyauté ?

Des outils procéduraux spécifiques ont ils été mis en place au bénéfice des enquêteurs ?

La preuve est au cœur du procès pénal.
En effet, en matière pénale, le procès est avant tout un problème de preuve.
Il existe trois grands principes qui gouvernent le régime probatoire français :
1/ le principe de liberté des preuves
2/ le principe de légalité des preuves
3/ le principe de loyauté des preuves

1. -Le principe de liberté est des plus simple.

Il est régi par l’article 427 du Code de procédure pénale qui prévoit que :
«  Hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tous modes de preuve  ».
Des classifications des modes de preuve ont évidemment été instituées pour en faciliter la compréhension.
On présente classiquement une classification séculaire, dite quadripartite, qui recense quatre modes de preuve traditionnels :
- les témoignages
- la preuve littérale
- les indices
- l’aveu

Aujourd’hui, cette classification semble quelque peu dépassée voire obsolète et ce notamment face à l’engouement des preuves techniques et scientifiques.
Je pense notamment aux preuves biologiques et à l’utilisation quotidienne de l’empreinte génétique, présentée (à tort) comme parfaite et infaillible.
Au regard de son immense force probante, de son impact si particulier auprès des enquêteurs et magistrats, la preuve dite ADN ne peut valablement intégrer les catégories préexistantes.

2. -Si toutes les preuves sont a priori recevables (c’est le principe de liberté de la preuve) c’est évidemment à la condition que ces preuves soient obtenues dans des conditions régulières, légales.

Certains procédés ne peuvent à l’évidence pas être utilisés.
C’est le principe de légalité des preuves.
À titre d’illustration des procédés déclarés illégaux, on peut citer les écoutes sauvages, l’utilisation du penthotal, de l’hypnose ou du détecteur de mensonges qui ont tous été interdits.
En synthèse, s’il existe bien un principe de liberté des preuves il s’agit d’une liberté encadrée par la légalité. Si la preuve est libre, sa recherche, son obtention et son administration sont évidemment encadrées par des exigences légales.

3. -A ces deux premiers principes (de liberté et de légalité s’ajoute le principe de loyauté dans la recherche des preuves. [3]

C’est à mes yeux un principe essentiel.
Le principe de loyauté fait l’objet de nombreuses controverses doctrinales et donne lieu à une jurisprudence aussi passionnante que fournie.
C’est précisément sur ce troisième grand principe protecteur que l’on va s’attarder.
La loyauté est classiquement envisagée par référence à la définition du Doyen Bouzat pour qui :

« la loyauté est une manière d’être dans la recherche des preuves, conforme au respect des Droits de l’individu et à la Dignité de la Justice »

Le principe de loyauté renvoie ainsi à la « droiture », à l’honnêteté intellectuelle, à la probité, à la franchise.
On cherche à promouvoir, à garantir une certaine « éthique judiciaire ».
Il est ici question de lutter contre les pièges ou les stratagèmes qui pourraient être envisagés par les enquêteurs.

Pour autant, force est de constater que nonobstant son importance de premier plan, l’exigence de loyauté est absente de notre Code de procédure pénale.
Aux termes de ses arrêts, sachez que la Cour de cassation vise en général, pour seuls fondements textuels :
- l’article préliminaire du Code de procédure pénale,
- l’article 427 du Code de procédure pénale,
- l’article 6 de la CEDH…
C’est d’ailleurs sous ces articles que sont recensés tous les commentaires et la jurisprudence relatifs à la loyauté.
À titre liminaire, il peut également être rappelé que le principe de loyauté est strictement consacré et appliqué en procédure civile (typiquement dans le cadre de procédures de divorce ou en matière prud’homale).

À titre d’illustration, la Cour de cassation a par exemple rappelé dans un arrêt du 7 octobre 2004 que :

« l’enregistrement d’une conversation téléphonique privée, effectué et conservé à l’insu de l’auteur des propos invoqués, est un procédé déloyal rendant irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue ».

Plus récemment, la Cour de cassation l’a encore rappelé dans un arrêt remarqué de l’Assemblée plénière du 7 janvier 2011 relatif aux enregistrements clandestins.

Mais par opposition à la procédure civile, la procédure pénale retient un système différent, un système dualiste, construit sur une opposition.
En effet, en procédure pénale, il est utile d’opposer :
- les parties privées qui ne sont pas soumises au principe de loyauté (I)
ET
- les autorités publiques qui, en revanche, y sont strictement tenues (II)

I. -Les personnes privées, dispensées du respect du principe de loyauté Des particuliers (généralement des parties civiles) ont parfois été amenés à se pré-constituer la preuve de l’infraction dont ils se prétendent victime.

C’est par exemple le cas de divers enregistrements audio ou captations de vidéos réalisé à l’insu de l’intéressé.
La chambre criminelle a systématiquement tranché en faveur de l’utilisation de ces procédés déloyaux, destinés ici à rapporter la preuve d’une infraction pénale par une personne qui s’en dit victime.
Les personnes privées ne sont donc pas soumises au principe de loyauté dans la recherche des preuves.
La Cour de cassation l’a encore rappelé dans une série d’arrêts intéressant la pratique du « Testing » organisée par des associations de lutte contre les discriminations.

II. -Un principe de loyauté contraignant les autorités publiques

Qui faut-il intégrer dans cette catégorie ?
1/ Le juge évidemment (dont la Constitution nous dit, dans son article 66, qui est « le garant des droits et libertés des individus ».
On comprendrait alors difficilement comment il pourrait se montrer déloyal dans la recherche des preuves.
L’essentiel de la jurisprudence concerne ici le juge d’instruction.
2/ Les OPJ (officiers de police judiciaire)
La police est tenue par le principe de loyauté dans la recherche des preuves.
A titre de simple illustration, les enquêteurs et notamment les officiers de police judiciaire ne peuvent jamais, que l’enquête soit de flagrance ou préliminaire, procéder à des écoutes téléphoniques et ce même avec l’accord d’un des correspondants sur la ligne duquel est installé le système d’écoute.

En effet, seul un magistrat (juge d’instruction ou JLD) peut-être amené à prendre la décision de placer un individu sur écoute téléphonique
Un enregistrement par magnétophone doit aussi être écarté puisque la preuve n’est pas recherchée loyalement mais procède d’une machination.
La solution aurait probablement été différente si les enquêteurs avaient écouté la conversation sans l’aide d’un quelconque appareil d’enregistrement ou de captation. En effet, la Cour de cassation a validé une procédure au cours de laquelle un policier, caché dans un placard, avait écouté une conversation afin de constituer la preuve d’une infraction (Crim. 22 avril 1992).


Une décision est venue jeter le trouble sur cette opposition (partie privée / autorités publiques) qui semblait pourtant claire et séduisante.
En effet, par un arrêt isolé du 13 octobre 2004, la Chambre criminelle a accueilli une preuve déloyalement obtenue par des gendarmes (affaire dite des paillotes corses) à la double condition que celle-ci :
- ait été débattue contradictoirement,
- ait été corroborée par d’autres preuves, c’est-à-dire que la condamnation ne se fonde pas uniquement sur des éléments de preuve déloyalement obtenus.

La question centrale des « provocations policières »
A la lecture de l’œuvre jurisprudentielle particulièrement foisonnante en la matière, une distinction fondamentale se cristallise aujourd’hui autour de l’opposition entre :
- la « provocation à la preuve » (tolérée)
ET
- la « provocation à l’infraction » (illégale)

La « provocation à la preuve » renvoie à des situations où le stratagème policier a simplement permis de récolter la preuve d’une infraction qui, en tout état de cause, aurait été commise même en l’absence d’intervention policière.

Par opposition, la « provocation à l’infraction » est la situation dans laquelle la police a poussé un individu à commettre une infraction qui n’aurait pas nécessairement existé sans le comportement policier.

 ? Illustrations pratiques (Jurisprudences sur Cybercriminalité et pédopornographie – Crim. 7 fév. 2007 / envisager également Crim. 30 avril 2014 sur fraudes aux cartes bancaires et site CARDEPROFIT, comm. J. Francillon, « Cyberdélinquance et provocations policières », RSC 2014, p. 577)
Parallèlement à ces éclaircissements jurisprudentiels, on assiste à un renforcement légal des outils procéduraux offerts aux enquêteurs.
Ces évolutions illustrent la recherche constante d’un juste équilibre entre l’efficacité attendue du travail des enquêteurs en termes de manifestation de la vérité et la préservation des libertés individuelles des individus mis en cause. 

1ère illustration : la possible utilisation de pseudonymes sur des forums internet

Article 706-43-3 du Code de procédure pénale :
« Dans le but de constater les infractions mentionnées aux articles 227-18 à 227-24 du code pénal et, lorsque celles-ci sont commises par un moyen de communication électronique, d’en rassembler les preuves et d’en rechercher les auteurs, les officiers ou agents de police judiciaire agissant au cours de l’enquête ou sur commission rogatoire peuvent, s’ils sont affectés dans un service spécialisé et spécialement habilités à cette fin, dans des conditions précisées par arrêté, procéder aux actes suivants sans en être pénalement responsables :
Participer sous un pseudonyme aux échanges électroniques ;
Etre en contact par ce moyen avec les personnes susceptibles d’être les auteurs de ces infractions ;
2° bis Extraire, acquérir ou conserver par ce moyen les éléments de preuve et les données sur les personnes susceptibles d’être les auteurs de ces infractions ;
Extraire, transmettre en réponse à une demande expresse, acquérir ou conserver des contenus illicites dans des conditions fixées par décret ».
A peine de nullité, ces actes ne peuvent constituer une incitation à commettre ces infractions
 ».

2ème illustration : le recours à l’infiltration (en matière de criminalité organisée)

Article 706-81 du Code de procédure pénale :
« Lorsque les nécessités de l’enquête ou de l’instruction concernant l’un des crimes ou délits entrant dans le champ d’application des articles 706-73 et 706-73-1 le justifient, le procureur de la République ou, après avis de ce magistrat, le juge d’instruction saisi peuvent autoriser qu’il soit procédé, sous leur contrôle respectif, à une opération d’infiltration dans les conditions prévues par la présente section.
L’infiltration consiste, pour un officier ou un agent de police judiciaire spécialement habilité dans des conditions fixées par décret et agissant sous la responsabilité d’un officier de police judiciaire chargé de coordonner l’opération, à surveiller des personnes suspectées de commettre un crime ou un délit en se faisant passer, auprès de ces personnes, comme un de leurs coauteurs, complices ou receleurs. L’officier ou l’agent de police judiciaire est à cette fin autorisé à faire usage d’une identité d’emprunt et à commettre si nécessaire les actes mentionnés à l’article 706-82. A peine de nullité, ces actes ne peuvent constituer une incitation à commettre des infractions.
L’infiltration fait l’objet d’un rapport rédigé par l’officier de police judiciaire ayant coordonné l’opération, qui comprend les éléments strictement nécessaires à la constatation des infractions et ne mettant pas en danger la sécurité de l’agent infiltré et des personnes requises au sens de l’article 706-82 »
.

Article 706-82 du Code de procédure pénale :
«  Les officiers ou agents de police judiciaire autorisés à procéder à une opération d’infiltration peuvent, sur l’ensemble du territoire national, sans être pénalement responsables de ces actes :
1° Acquérir, détenir, transporter, livrer ou délivrer des substances, biens, produits, documents ou informations tirés de la commission des infractions ou servant à la commission de ces infractions ;
2° Utiliser ou mettre à disposition des personnes se livrant à ces infractions des moyens de caractère juridique ou financier ainsi que des moyens de transport, de dépôt, d’hébergement, de conservation et de télécommunication.
L’exonération de responsabilité prévue au premier alinéa est également applicable, pour les actes commis à seule fin de procéder à l’opération d’infiltration, aux personnes requises par les officiers ou agents de police judiciaire pour permettre la réalisation de cette opération
 ».

Ouverture enfin sur :

- Loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme
- Loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement. ?

AUTRES EXPOSÉS CAHIERS UCEJAM

Prendre connaissance de l’Exposé de l’intervention de Pascal RITTER Ingénieur Systèmes, conférencier au CISIA : « Ransomwares, la bourse ou la vie ?- » en cliquant ici

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RÉFÉRENCES
(1) Cass., ch. réun., 31 janv. 1888, S. 1889. 1. 241.
(2) V. A. Lepage, Droit pénal et internet : la part de la tradition, l’oeuvre de l’innovation, AJ pénal 2005. 217 .
(3) Maistre du Chambon, La régularité des « provocations policières » : l’évolution de la jurisprudence, JCP 1989. I. 3422.

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