Clause d'arbitrage (...)

Clause d’arbitrage manifestement inapplicable et groupe de contrats (Cass.civ.1, 20 avril 2017)

Le contentieux sur la qualification de clause d’arbitrage manifestement inapplicable ne se dément pas. On peut observer que le plus souvent, l’argument fondé sur l’inapplicabilité manifeste est rejeté (1) . Une décision qui maintient une compétence judiciaire dans ce contexte est donc assez rare et mérite à ce titre d’être rapportée.

Par Dominique VIDAL, Agrégé des facultés de Droit, Avocat honoraire Arbitre commercial, Professeur émérite, CREDECO GREDEG UMR 7321 CNRS/UNS

La société D. a conclu deux contrats de location-gérance et de franchise avec la société CPF et un contrat d’approvisionnement avec la société CSF. Les contrats de franchise et d’approvisionnement contiennent chacun une clause compromissoire, ce qui n’est pas le cas du contrat d’approvisionnement.
Se noue un contentieux qui comporte :
1°/ des actions en paiement engagées par les sociétés CSF et CPF contre la société D du chef du contrat d’approvisionnement ;
2°/ une action en paiement engagée par la société D contre la société CPF du chef du contrat de location-gérance ;
3°/ une action en nullité du même contrat de location-gérance.

Les deux actions en paiement sont engagées devant le tribunal de commerce. C’est devant ce tribunal et à titre reconventionnel que le défendeur, la société D, exprime ses demandes relatives au contrat de location- gérance.

À ce stade, la société CPF cherche à éviter que le tribunal de commerce accueille le débat sur la nullité du contrat de location-gérance. Or, ce dernier étant dépourvu de clause compromissoire, elle soulève l’incompétence du juge saisi au profit du tribunal arbitral en raison de la clause compromissoire insérée … dans le contrat de franchise. À cet effet, la société CPF se réfère à l’ensemble contractuel constitué par les trois contrats, visant à appliquer une clause compromissoire à un contrat qui ne la contient pas mais au motif qu’elle figure dans d’autres contrats du groupe de contrats auquel il participe.

Les deux instances sont jointes. La cour d’appel déclare le tribunal de commerce compétent, au motif notamment que les sociétés CSF et CPF, en prenant l’initiative de saisir le tribunal de commerce du chef des demandes en paiement initiales, avaient renoncé à la clause compromissoire.
Le pourvoi est rejeté.
Mais cet arrêt doit être entendu avec soin. Il est justifié, mais pas pour le motif utilisé. En effet, si la renonciation à la clause compromissoire pouvait ici prêter à discussion (I), la solution demeure fondée sur l’irrecevabilité de l’extension de la clause en droit interne de l’arbitrage (II).

Sur la renonciation à la clause d’arbitrage

Sur un plan pratique, on peut comprendre ainsi le comportement du groupe C au regard de l’application des clauses compromissoires. S’agissant d’une action en paiement en exécution du contrat d’approvisionnement, il peut préférer la rapidité (certes parfois relative …) et/ou la simplicité de la procédure judiciaire commerciale. En revanche, s’agissant d’un débat sur la validité d’un contrat-cadre de distribution, il peut préférer l’intervention d’une formation arbitrale rompue aux subtilités de la question. A notre avis, il n’est donc pas exact que le groupe C aurait renoncé à l’application des clauses compromissoires.
Sur le plan du droit de l’arbitrage au sens strict, il n’est pas davantage pertinent d’obliger une partie à saisir l’arbitre pour le moindre litige, quels qu’en soient la nature et l’importance, sous la peine comminatoire de se voir privé de la faculté de l’invoquer ultérieurement. Sauf mutuus dissensus bien entendu, c’est-à-dire sauf une rencontre de volontés réelles des parties sur la suppression de la clause de leurs relations contractuelles, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.

Sur l’extension de la clause compromissoire

Un ensemble contractuel, est un espace juridique particulier qui, loin de constituer un no man’s land juridique, révèle la substance des compléments et des interdépendances que les contrats en cause manifestent les uns avec les autres. Pour ce qui concerne le droit de l’arbitrage, un ensemble contractuel est un lieu privilégié d’extension de la clause compromissoire.
C’est d’ailleurs précisément pour les besoins de la détermination du domaine de l’arbitrage que la "théorie" jurisprudentielle de l’extension de la clause compromissoire a été élaborée et a donné lieu désormais à un grand nombre de décisions(2). Mais cette jurisprudence – désormais constante - intervient dans le domaine de l’arbitrage international.
En arbitrage international en effet, on peut identifier un principe général d’extension de la clause compromissoire à toutes les parties "impliquées" dans l’exécution du contrat assorti de la clause(3) ; on y considère que l’arbitrage est le mode "normal"de règlement des litiges, ce qui autorise ce libéralisme réputé être en définitive favorable globalement à toutes les parties.

À l’inverse, on considère généralement qu’en matière interne il n’est pas juste d’attraire dans un contentieux arbitral une partie qui n’y a pas consenti. Le droit positif n’admet pas un principe d’extension de la clause en droit interne(4), et il est bon, en conséquence, d’être prudent en la matière(5).

En conclusion, il est douteux que la société C ait renoncé à la clause ; mais en tout état de cause, cette clause n’avait pas vocation à s’appliquer car elle figurait dans un autre contrat formant certes avec le contrat en cause un ensemble contractuel, et parce que cet ensemble contractuel n’est pas reconnu en droit interne de l’arbitrage comme pouvant justifier une extension de la clause.


1- Jean-Baptiste Racine, Droit de l’arbitrage, Thémis, n°369, p.273
2- Jean-Baptiste Racine, Droit de l’arbitrage, Thémis, n°317 et s. ;
3- Jean-Baptiste Racine, Droit de l’arbitrage, Thémis, n°324, p.247 ; Dominique Vidal, Droit français de l’arbitrage interne et international, Gualino, n°505 s.
4- Dominique Vidal, Droit français de l’arbitrage interne et international, Gualino, n°56/62
5- Jean-Baptiste Racine, Droit de l’arbitrage, Thémis, n°328, in fine, p.252.

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